jeudi 4 octobre 2007

Liberté et démocratie (Renouveau français)

Liberté
(extraits de Le procès de la Démocratie de Jean Haupt)

Liberté de pensée

Voilà, dira-t-on, une liberté qui n'est jamais en cause. Car il est évident que, dans le tréfonds de soi-même, chacun pense ce qu'il veut et comme il veut…

C'était peut-être vrai autrefois, ça ne l'est plus aujourd'hui, et cette fameuse liberté de pensée dont s'enorgueillit la Démocratie, n'est que pure illusion. Car les hommes de nos jours, quels qu'ils soient, sont soumis, heure par heure, dans la rue, dans le bureau, à l'usine, à l'atelier, dans leur travail, dans leurs loisirs et dans leurs distractions, et jusque dans l'intimité de leur foyer, par l'intermédiaire de l'image, du livre, de la presse, du cinéma, de la radio, de la télévision, à l'action constante, permanente, envahissante, déclarée ou insidieuse, brutale ou sournoise, de la propagande pandémocratique. A tel point que les esprits les mieux formés, les plus solides, les plus indépendants, en sont, malgré eux et à leur insu, influencés ; quant aux autres, ils sont facilement intoxiqués, subjugués, écrasés, anéantis, vidés. Une intelligence collective, démocratique, se substitue à l'intelligence de chacun, impose ses dogmes, ses cadres de pensées, rigides, inviolables ; la conscience universelle , démocratique, se substitue à la conscience individuelle et c'est elle qui fixe, irrévocablement, ce qui est vrai et ce qui est faux, ce qui est bien et ce qui est mal, ce qui est beau et ce qui est laid, ce qui est légal et ce qui est criminel, ce qui est juste et ce qui est injuste, ce qui est raisonnable et ce qui est insensé. Et ce qui est vrai, ce qui est bon, ce qui est juste, ce qui est beau, c'est tout ce qui contribue à la Démocratie. Et ce qui est faux, ce qui est mauvais, ce qui est laid, ce qui est criminel ou aberrant, c'est tout ce qui est contraire à la Démocratie.

Cette contrainte ne s'exerce pas seulement sur la plan moral, sur la plan de la propagande, sur le plan de l'esprit, elle s'exerce aussi dans la pratique, sur le plan de la vie politique. En fait, l'heureux citoyen d'une démocratie a toutes les libertés, sauf la liberté de ne pas être démocrate. Pour mettre au pas les récalcitrants, on a recours à tous les moyens légaux ou paralégaux. Et quand les moyens légaux se révèlent insuffisants, on hésite pas à recourir aux moyens illégaux, à l'arbitraire, à la force. Les exemples sont nombreux, à toutes les époques et dans tous les pays. Les gouvernements dits autoritaires ne tolèrent pas les attaques contre les fondements du régime ; en cela, ils ne sont que logiques avec eux-mêmes, ils ne trompent personne. La Démocratie ne le tolère pas non plus ; en cela elle se renie elle-même et n'est à son tour qu'une dictature déguisée, la pire, la plus ignoble, la plus dangereuse des dictatures, parce que la plus hypocrite et la plus insidieuse. Les heureux citoyens d'une démocratie sont libres, comme le condamné à mort est libre de se déplacer, les chaînes aux pieds, sur les deux mètres carrés de sa cellule…[…]

Liberté de pensée, liberté d'opinion, liberté de presse, liberté de réunion, Liberté…

Il n'effleurerait à l'esprit de personne de se demander, ou personne n'oserait demander si ces libertés, en fin de compte, sont bien importantes. Car la conscience universelle et démocratique nous dit que non seulement elles sont importantes, mais encore qu'elles sont essentielles, vitales. Elles ne sont pas un moyen pour atteindre le bonheur des peuples : elles sont, en elles-mêmes, une fin , elles sont le bonheur des peuples ![…]

Non ! Les libertés démocratiques ne sont pas importantes ; elles ne sont pas essentielles à la vie, ni même – je dirais ni surtout – au bonheur des peuples. Et c'est pourquoi elles n'intéressent, ou ne devraient intéresser qu'une infime minorité de la population, quelques dizaines, quelques centaines, ou quelques milliers d'individus, suivant l'importance du pays : journalistes ou pseudo-journalistes, écrivains, artistes plus ou moins ratés, politiciens professionnels, ambitieux, spécialistes de la pêche en eau trouble. Elles n'intéressent, ou ne devraient pas intéresser les populations. Si elles les intéressent, c'est parce qu'on les a pour ainsi dire obligées à s'y intéresser. On a dit aux peuples qu'ils étaient souverains, qu'ils devaient voter. Alors, obéissant à leur tempérament, ils se sont pris au jeu, et y ont bientôt apporté toute leur passion. Mais le fait que les peuples se passionnent et se battent pour des questions politiques ne veut pas dire qu'ils y attachent une grande importance : ne font-ils pas de même pour une partie de foot-ball ?… La « liberté », la « démocratie », ce que l'on appelle communément « la politique » est comme un vice – l'alcool, le tabac – qui a été inculqué artificiellement aux peuples, qui ne correspond pas, bien au contraire, à leurs nécessités naturelles, et dont ils se débarrasseront – s'il n'est pas trop tard – le jour où ils s'apercevrons que le vice est mortel.

Ainsi, la liberté qui intéresse, ou qui devrait intéresser le paysan, c'est la liberté de cultiver son champ, pourvu que ce champ soit bien à lui ; et qu'il en retire le juste profit de son labeur, et qu'il puisse avoir, lui aussi ses moments de repos et de loisir, comme les gens de la ville. La liberté qui intéresse, ou qui devrait intéresser, l'ouvrier,c'est la liberté de travailler, pourvu que le travail lui soit garanti, et équitablement rémunéré. La liberté qui intéresse ou devrait intéresser le commerçant, c'est la liberté d'ouvrir son magasin le matin, et de ne le refermer que le soir, avec la satisfaction d'avoir fait de bonnes affaires. Or, précisément , aucune de ces libertés n'est garantie en démocratie, car la condition de ces libertés, c'est l'ordre, la discipline, la conscience professionnelle, et que la démocratie est le règne du désordre et de l'anarchie, le triomphe de l'individualisme . Et le gouvernement qui sera capable de garantir ces libertés – celles-ci, oui véritablement essentielles, vitales – n'aura pas à se préoccuper des autres.

Ramalho Ortigão, écrivain polygraphe portugais du 19 ème , début du 20 ème siècle, a analysé avec beaucoup de perspicacité et une fine ironie, en particulier dans sa publication périodique intitulée « As Farpas » ( Les Banderilles), les mœurs et la vie politique de son pays, d'abord sous la monarchie libérale et parlementaire, puis sous la République, qui, nous dit-il, doivent être mises l'une et l'autre dans le même sac. C'est à lui que j'emprunte cette phrase, quasi prophétique, si l'on songe qu'elle a dû être écrite autour de 1875 :

"Au milieu de la perturbation générale, des conflits, des dangers qui menacent les vies et les biens, l'égoïsme humain sacrifiera sans hésiter la Liberté. Car la liberté, si belle soit-elle, n'est dans la vie qu'une circonstance ; l'ordre est la condition essentielle, intrinsèque de l'existence, la garantie du travail et du pain. Qui pourra calculer le nombre de libertés que nous sacrifierons à l'ordre, le jour où le désordre commencera à nous concéder le droit au pouvoir, en nous supprimant le droit au dîner ?…"