samedi 29 septembre 2007

Pélerinages (Renouveau Français)

Pèlerinages



Comme chaque année, parmi les militants et amis du RF, ils étaient des dizaines de catholiques à se lancer sur les chemins à l'occasion des pèlerinages de la Pentecôte (que ce soit de Paris vers Chartres ou de Chartres vers Montmartre).

L'occasion de se sanctifier et de demander l'aide divine mais aussi, et particulièrement lors de cette édition 2007, d'exercer leur volonté. Outre la bonne centaine de kilomètres avalée à bon rythme, il fallut subir d'incessantes pluies.

Mais ni l'eau, ni la boue, ni la fatigue ne purent entamer le moral des troupes, et chacun s'appliqua à se dépasser, en véritable nationaliste.

Barbey d'Aurevilly

Barbey d'Aurevilly

Jules Amédee Barbey d’Aurevilly naît le 2. novembre 1808 - le jour des morts - lors d’une partie de whist à l’hôtel particulier de son grand-oncle le chevalier de Montressel à Saint Sauveur-le-Vicomte. L’aîné de quatre frères, il est élevé dans un milieu familial austère, où seuls le salon de sa grand-mère et les contes normands de la servante Jeanne Roussel frappent l’imagination du jeune Barbey; le romancier s’en souviendra plus tard. A dix-neuf ans, Barbey part à Paris pour terminer ses études secondaires au Collège Stanislas, où il rencontre le poète Maurice de Guérin, avec qui il se lie d’une grande amitié qui sera brisée en 1839 par la mort de ce dernier.

Reçu bachelier, Barbey poursuit ses études à la Faculté de droit de Caen. C’est là en 1832 qu’il fait ses premiers pas dans le journalisme avec la Revue de Caen, fondée avec son cousin et le bibliothécaire Trébutien. L’amitié entre Barbey et Trébutien dure, à une intérruption près, jusqu’en 1858, et donne lieu à une importante correspondance littéraire. Dans la Revue de Caen, Barbey publie Léa, sa première nouvelle. Le Cachet d’onyx, écrit à la même époque suite à sa déception amoureuse auprès de Louise Cantru des Costils, ne paraîtra que plus tard.

En août 1833, ayant achevé ses études de droit, Barbey s’installe à Paris grâce à l’héritage du chevalier de Montressel. Il écrit beaucoup, mais ne parvient pas à se faire éditer. Vers 1836, l’évolution politique de Barbey le décide à adopter la particule nobiliaire d’Aurevilly dont sa famille dispose. Reçu dans des salons tels que celui de Mme de Fayet et celui de Mme de Vallon, Barbey brille par l’esprit de sa conversation. A l’époque où son frère Ernest se marie et son frère Léon prend la robe, Barbey, lui, se façonne un personnage de dandy, inspiré du modèle anglais incarné par Lord Byron et surtout par George Brummell, à qui il consacrera une étude publiée par Trébutien en 1844.

Barbey collabore à plusieurs revues, telles que le Nouvelliste et le Globe, et pendant un an, il est rédacteur de la Revue du monde Catholique. Paraissent dans divers périodiques l’Amour impossible, la Bague d’Annibal, les Prophètes du Passé, et le Dessous de cartes d’une partie de whist, la première Diabolique. Dès sa publication en feuilleton, Une vieille maîtresse connaît un succès et suscite une polémique qui tous deux étonnent l’écrivain; désormais, il connaîtra rarement l’un sans l’autre.

En 1851, Barbey fait la rencontre de la Baronne de Bouglon, qu’il surnomme son « Ange blanc ». Le dandy s’adoucit sous son influence, se réconciliant avec ses parents ainsi qu’avec la pratique religieuse. Le mariage projeté n’aura jamais lieu, mais jusque dans ses vieux jours, Barbey démultipliera les déclarations d’amour à son « éternelle fiancée ».

L’Ensorcelée, publiée en 1852, affirme de nouveau le caractère régionaliste du romancier. En 1860 parait le premier volume des Œuvres et des Hommes, la série dans laquelle seront édités, pendant près de cinquante ans, les 1.300 articles de critique historique, politique et littéraire écrits par Barbey. Le Chevalier Des Touches, préparé depuis dix ans sur la demande de Mme de Bouglon, paraît en volume en 1864, suivi de près d’Une Prêtre Marié, qui attirera la colère de l’Eglise.

La mort, en 1868, de Théophile Barbey, père de Jules, met au jour des dettes qui aboutissent à la vente des propriétés familiales à Saint Sauveur-le-Vicomte. Si Barbey, vieillissant, retourne plus souvent dans son pays natal, il préfère désormais séjourner à Valognes.

L’édition des Diaboliques en 1874 entraîne l’auteur dans un procès pour outrage à la morale publique. Le procès qui, selon Barbey, est un prétexte à « faire payer au Romancier la rigueur du Critique », terminera en un non-lieu, mais Barbey attendra huit ans avant de rééditer l’Œuvre.

A près de soixante-dix ans, Barbey est toujours le causeur étincelant, le dandy superbe d’antan et accueille dans son modeste appartement parisien de jeunes admirateurs tels que Léon Bloy et François Coppée. S’il est moins solitaire qu’autrefois, il se montre néanmoins soucieux d’éloigner ceux qui cherchent uniquement à profiter de la renommée dont il dispose maintenant.

En 1879, Barbey rencontre Louise Read, qui deviendra sa secrétaire et qui se consacrera à l’écrivain dans les dernières années de sa vie. C’est elle, légataire universelle de Barbey, qui mènera à terme la publication des Œuvres et des Hommes. L’année 1882 voit la publication de la dernière Œuvre romanesque de Barbey, Une Histoire sans nom. Ce qui ne meurt pas, publié en 1883, représente la version définitive de Germaine, écrit en 1835.

Barbey, dont la santé s’affaiblit depuis quelques années, s’éteint à Paris le 23. avril 1889, suite à une grave hémorragie. Il a 80 ans.

Dentelle de Calais

Musée de la dentelle de Calais

Musée :

Musée des Beaux-Arts et de la Dentelle - Calais

Musée des Beaux-Arts et de la Dentelle - Calais
Les premières maquettes représentant la scène des Bourgeois de Rodin y sont exposées. On peut également admirer les oeuvres d'autres sculpteurs tels que Carpeaux ou Bourdelle.
Riche collection de peintures et sculptures du XXème siècle.
Une autre salle est consacrée à l'histoire de la dentelle qui ne l'oublions pas a rendu Calais célèbre au XIX ème siècle car la ville était le premier centre mondial de la production de la dentelle.

Adresse 25, rue Richelieu.
Ville Calais (France)
Téléphone 03 21 46 48 40
Site Web www.mairie-calais.fr/musee.htm
Ouverture Ouvert t.l.j. de 10h à 12h et de 14h à 17h30. Le samedi de 10h à 12h et de 14h à 18h30 et le dimanche de 14h à 18h30. Fermé le mardi et les jours fériés.
Conditions tarifaires Entrée Libre

Encyclique Vehementer Nos

VEHEMENTER NOS

LETTRE ENCYCLIQUE
DE SA SAINTETÉ LE PAPE PIE X
AU PEUPLE FRANÇAIS



Aux archevêques, évêques, au clergé et au peuple français, à nos bien aimés fils : François-Marie Richard, cardinal prêtre de la Sainte Eglise romaine, archevêque de Paris ; Victor-Lucien Lecot, cardinal prêtre de la Sainte Eglise romaine, archevêque de Bordeaux ; Pierre-Hector Coullié, cardinal prêtre de la Sainte Eglise romaine, archevêque de Lyon ; Joseph-Guillaume Labouré, cardinal prêtre de la Sainte Eglise romaine, archevêque de Rennes, et à tous nos vénérables frères, les archevêques et évêques et à tout le clergé et le peuple français, Pie X, Pape :

Vénérables frères, bien aimés fils, salut et bénédiction apostolique.

Notre âme est pleine d'une douloureuse sollicitude et notre coeur se remplit d'angoisse quand notre pensée s'arrête sur vous. Et comment en pourrait-il être autrement, en vérité, au lendemain de la promulgation de la loi qui, en brisant violemment les liens séculaires par lesquels votre nation était unie au siège apostolique, crée à l'Eglise catholique, en France, une situation indigne d'elle et lamentable à jamais.

Evénement des plus graves sans doute que celui-là; événement que tous les bons esprits doivent déplorer, car il est aussi funeste à la société civile qu'à la religion; mais événement qui n'a pu surprendre personne pourvu que l'on ait prêté quelque attention à la politique religieuse suivie en France dans ces dernières années.

Pour vous, vénérables frères, elle n'aura été bien certainement ni une nouveauté, ni une surprise, témoins que vous avez été des coups si nombreux et si redoutables tour à tour portés par l'autorité publique à la religion.

Les attentats passés

Vous avez vu violer la sainteté et l'inviolabilité du mariage chrétien par des dispositions législatives en contradiction formelle avec elles, laïciser les écoles et les hôpitaux, arracher les clercs à leurs études et à la discipline ecclésiastique pour les astreindre au service militaire, disperser et dépouiller les congrégations religieuses et réduire la plupart du temps leurs membres au dernier dénuement. D'autres mesures légales ont suivi, que vous connaissez tous. On a abrogé la loi qui ordonnait des prières publiques au début de chaque session parlementaire et à la rentrée des tribunaux, supprimé les signes traditionnels à bord des navires le Vendredi Saint, effacé du serment judiciaire ce qui en faisait le caractère religieux, banni des tribunaux, des écoles, de l'armée, de la marine, de tous les établissements publics enfin, tout acte ou tout emblème qui pouvait, d'une façon quelconque, rappeler la religion.

Ces mesures et d'autres encore qui peu à peu séparaient de fait l'Eglise de l'Etat n'étaient rien autre chose que des jalons placés dans le but d'arriver à la séparation complète et officielle.

Leurs promoteurs eux-mêmes n'ont pas hésité à le reconnaître hautement, et maintes fois, pour écarter une, calamité si grande, le Siège apostolique, au contraire, n'a absolument rien épargné. Pendant que, d'un côté, il ne se lassait pas d'avertir ceux qui étaient à la tête des affaires françaises et qu'il les conjurait à plusieurs reprises de bien peser l'immensité des maux qu'amènerait infailliblement leur politique séparatiste, de l'autre, il multipliait vis-à-vis de la France les témoignages éclatants de sa condescendante affection.

Il avait le droit d'espérer ainsi, grâce aux liens de la reconnaissance, de pouvoir retenir ces politiques sur la pente et de les amener enfin à renoncer à leurs projets; mais, attentions, bons offices, efforts tant de la part de notre Prédécesseur que de la nôtre, tout est resté sans effet, et la violence des ennemis de la religion a fini par emporter de vive force ce à quoi pendant longtemps ils avaient prétendu à l'encontre de vos droits de nation catholique et de tout ce que pouvaient souhaiter les esprits qui pensent sagement.

C'est pourquoi, dans une heure aussi grave pour l'Eglise, conscient de notre charge apostolique, nous avons considéré comme un devoir d'élever notre voix et de vous ouvrir notre âme, à vous, vénérables Frères, à votre clergé et à votre peuple, à vous tous que nous avons toujours entourés d'une tendresse particulière, mais qu'en ce moment, comme c'est bien juste, nous aimons plus tendrement que jamais.

Fausseté du principe de la Séparation

Qu'il faille séparer l'Etat de l'Eglise, c'est une thèse absolument fausse, une très pernicieuse erreur. Basée, en effet, sur ce principe que l'Etat ne doit reconnaître aucun culte religieux, elle est tout d'abord très gravement injurieuse pour Dieu, car le créateur de l'homme est aussi le fondateur des sociétés humaines et il les conserve dans l'existence comme il nous soutient.

Nous lui devons donc, non seulement un culte privé, mais un culte public et social, pour l'honorer.

En outre, cette thèse est la négation très claire de l'ordre surnaturel; elle limite, en effet, l'action de l'Etat à la seule poursuite de la prospérité publique durant cette vie, qui n'est que la raison prochaine des sociétés politiques, et elle ne s'occupe en aucune façon, comme lui étant étrangère, de leur raison dernière qui est la béatitude éternelle proposée à l'homme quand cette vie si courte aura pris fin.

Et pourtant, l'ordre présent des choses qui se déroulent dans le temps se trouvant subordonné à la conquête de ce bien suprême et absolu, non seulement le pouvoir civil ne doit pas faire obstacle à cette conquête, mais il doit encore nous y aider.

Cette thèse bouleverse également l'ordre très sagement établi par Dieu dans le monde, ordre qui exige une harmonieuse concorde entre les deux sociétés.

Ces deux sociétés, la société religieuse, et la société civile, ont, en effet, les mêmes sujets, quoique chacune d'elles exerce dans sa sphère propre son autorité sur eux.

Il en résulte forcément qu'il y aura bien des matières dont elles devront connaître l'une et l'autre, comme étant de leur ressort à toutes deux.

Or, qu'entre l'Etat et l'Eglise l'accord vienne à disparaître, et de ces matières communes pulluleront facilement les germes de différends qui deviendront très aigus des deux côtés.

La notion du vrai en serra troublée .et les âmes remplies d'une grande anxiété.

Enfin, cette thèse inflige de graves dommages à la société civile elle-même, car elle ne peut pas prospérer ni durer longtemps lorsqu'on n'y fait point sa place à la religion, règle suprême et souveraine maîtresse quand il s'agit des droits de l'homme et de ses devoirs. Aussi, les pontifes romains n'ont-ils pas cessé, suivant les circonstances et selon les temps, de réfuter et de condamner la doctrine de la séparation de l'Eglise et de l'Etat.

Notre illustre prédécesseur Léon XIII, notamment, a. plusieurs fois, et magnifiquement exposé ce que devraient être, suivant la doctrine catholique, les rapports entre les deux sociétés. "Entre elles, a-t-il dit,. il faut nécessairement qu'une sage union intervienne, union qu'on peut non sans justesse ; comparer à celle, qui réunit dans l'homme, l'âme et le corps." "Quaedam intercedat necesse est ordinata colligatio inter illas quae quidem coniuntioni non immerito comparatur per quam anima et corpus in homine copulantur." Il ajoute encore: "Les sociétés humaines ne peuvent pas, sans devenir criminelles, se conduire comme si Dieu n'existait pas ou refuser de se préoccuper de la religion comme si elle leur était chose étrangère ou qui ne pût leur servir de rien. Quant à l'Eglise, qui a Dieu lui-même pour auteur, l'exclure de la vie active de la nation, des lois, de l'éducation de la jeunesse, de la société domestique, c'est commettre une grande et pernicieuse erreur!" "Civitates non possunt, citra seclus, genere se, tanquam si Deus omnino non esset, aut curam religionis velut alienam nihil que profituram ablicere. Ecclesiam vero quam Deus ipse constituit ab actione vitae excludere, a legibus, ab institutione adolescentium, a societate domestica, magnus et perniciosus est error." (Lettre encyclique Immortale Dei, 1er nov. 1885.)

La Séparation est particulièrement funeste et injuste en France

Que si en se séparant de l'Eglise, un Etat chrétien, quel qu'il soit, commet un acte éminemment funeste et blâmable, combien n'est-il pas à déplorer que la France se soit engagée dans cette voie, alors que, moins encore que toutes les autres nations, elle n'eût dû y entrer, la France, disons-nous, qui, dans le cours des siècles, a été, de la part de ce siège apostolique, l'objet d'une si grande et si singulière prédilection, la France, dont la fortune et la gloire ont toujours été intimement unies à la pratique des moeurs chrétiennes et au respect de la religion.

Le même pontife Léon XIII avait donc bien raison de dire: "La France ne saurait oublier que sa providentielle destinée l'a unie au Saint-Siège par des liens trop étroits et trop anciens pour qu'elle veuille jamais les briser. De cette union, en effet, sont sorties ses vraies grandeurs et sa gloire la plus pure. Troubler cette union traditionnelle, serait enlever à la nation elle-même une partie de sa force morale et de sa haute influence dans le monde". (Allocution aux pèlerins français, 13 avril 1888.)

Les liens qui consacraient cette union devaient être d'autant plus inviolables qu'ainsi l'exigeait la foi jurée des traités. Le Concordat passé entre le Souverain Pontife et le gouvernement français, comme du reste tous les traités du même genre, que les Etats concluent entre eux, était un contrat bilatéral, qui obligeait des deux côtés: le Pontife romain d'une part, le chef de la nation française de l'autre, s'engagèrent donc solennellement, tant pour eux que pour leurs successeurs, à maintenir inviolablement le pacte qu'ils signaient.

Il en résultait que le Concordat avait pour règle la règle de tous les traités internationaux, c'est-à-dire le droit des gens, et qu'il ne pouvait, en aucune manière, être annulé par le fait de l'une seule des deux parties ayant contracté. Le Saint-Siège a toujours observé avec une fidélité scrupuleuse les engagements qu'il avait souscrits et, de tout temps, il a réclamé que l'Etat fit preuve de la même fidélité. C'est là une vérité qu'aucun juge impartial ne peut nier. Or, aujourd'hui, l'Etat abroge de sa seule autorité le pacte solennel qu'il avait signé.

Il transgresse ainsi la foi jurée et, pour rompre avec l'Eglise, pour s'affranchir de son amitié, ne reculant devant rien, il n'hésite pas plus à infliger au Siège apostolique l'outrage qui résulte de cette violation du droit des gens qu'à ébranler l'ordre social et politique lui-même, puisque, pour la sécurité réciproque de leurs rapports mutuels, rien n'intéresse autant les nations qu'une fidélité irrévocable dans le respect sacré des traités.

Aggravation de l'injure

La grandeur de l'injure infligée au Siège apostolique par l'abrogation unilatérale du Concordat s'augmente encore et d'une façon singulière quand on se prend à considérer la forme dans laquelle l'Etat a effectué cette abrogation. C'est un principe admis sans discussion dans le droit des gens et universellement observé par toutes les nations que la rupture d'un traité doit être préventivement et régulièrement notifiée d'une manière claire et explicite à l'autre partie contractante par celle qui a l'intention de dénoncer le traité. Or, non seulement aucune dénonciation de ce genre n'a été faite au Saint-Siège, mais aucune indication quelconque ne lui a même été donnée à ce sujet; en sorte que le gouvernement français n'a pas hésité à manquer vis-à-vis du siège apostolique aux égards ordinaires et à la courtoisie dont on ne se dispense même pas vis-à-vis des Etats les plus petits, et ses mandataires, qui étaient pourtant les représentants d'une nation catholique, n'ont pas craint de traiter avec mépris la dignité et le pouvoir du Pontife, chef suprême de l'Eglise, alors qu'ils auraient dû avoir pour cette puissance un respect supérieur à celui qu'inspirent toutes les autres puissances politiques et d'autant plus grand que, d'une part, cette puissance a trait au lien éternel des âmes et que, sans limites, de l'autre, elle s'étend partout.

Injustice et périls des dispositions de la loi examinée en détail

Associations cultuelles

Si nous examinons maintenant en elle-même la loi qui vient d'être promulguée, nous y trouvons une raison nouvelle de nous plaindre encore plus énergiquement.

Puisque l'Etat, rompant les liens du Concordat, se séparait de l'Eglise, il eût dû comme conséquence naturelle lui laisser son indépendance et lui permettre de jouir en paix du droit commun dans la liberté qu'il prétendait lui concéder. Or, rien n'a été moins fait en vérité. Nous relevons, en effet, dans la loi, plusieurs mesures d'exception, qui, odieusement restrictives, mettent l'Eglise sous la domination du pouvoir civil. Quant à nous, ce nous a été une douleur bien amère que de voir l'Etat faire ainsi invasion dans des matières qui sont du ressort exclusif de la puissance ecclésiastique, et nous en gémissons d'autant plus qu'oublieux de l'équité et de la justice, il a créé par là à l'Eglise de France une situation dure, accablante et oppressive de ses droits les plus sacrés.

Les dispositions de la nouvelle loi sont, en effet, contraires à la Constitution suivant laquelle l'Eglise a été fondée par Jésus-Christ.

L'Ecriture nous enseigne, et la tradition des Pères nous le confirme, que l'Eglise est le corps mystique du Christ, corps régi par des pasteurs et des docteurs (Ephes., IV, 11), société d'hommes, dès lors, au sein de laquelle des chefs se trouvent qui ont de pleins et parfaits pouvoirs pour gouverner, pour enseigner et pour juger. (Matthieu, XXVIII, 18-20 ; XVI, 18-19 ; XVIII, 17 ; Tite II, 15 ; II Cor. X, 6 ; XIII, 10, etc.)

Il en résulte que cette Eglise est par essence une société inégale, c'est-à-dire une société comprenant deux catégories de personnes: les pasteurs et le troupeau, ceux qui occupent un rang dans les différents degrés de la hiérarchie et la multitude des fidèles; et ces catégories sont tellement distinctes entre elles, que, dans le corps pastoral seul, résident le droit et l'autorité nécessaires pour promouvoir et diriger tous les membres vers la fin de la société.

Quant à la multitude, elle n'a pas d'autre devoir que celui de se laisser conduire et, troupeau docile, de suivre ses pasteurs.

Saint Cyprien, martyr, exprime cette vérité d'une façon admirable, quand il écrit : Notre Seigneur dont nous devons révérer et observer les préceptes réglant la dignité épiscopale et le mode d'être de son Eglise, dit dans l'Evangile, en s'adressant à Pierre : " Ego dico tibi quia tu es Petrus ", etc.

Aussi, "à travers les vicissitudes des âges et des événements, l'économie de l'épiscopat et la constitution de l'Eglise se déroulent de telle sorte que l'Eglise repose sur les évêques et que toute sa vie active est gouvernée par eux". Dominus noster cujus praecepta metuere et servare debemus episcopi honorem et ecclesiae suae rationem disponens in evangolio loquitur et dixit Petro: ego dico tibi quia tu es Petrus, etc. Inde per temporum et successionum vices episcoporum ordinatio et ecclesiae ratio decurbit ut Ecclesia super episcopas constituatur et omnis actus ecclesiae per eosdem praepositos gubernetur. (St Cypr., epist., XXVII ; Al., XXVIII, ad Lapsos, 11.)

Saint Cyprien affirme que tout cela est fondé sur une loi divine : " Divina lege fundatum. "

Contrairement à ces principes, la loi de séparation attribue l'administration et la tutelle du culte public, non pas au corps hiérarchique divinement institué par le Sauveur, mais à une association de personnes laïques.

A cette association elle impose une forme, une personnalité juridique et pour tout ce qui touche au culte religieux, elle la considère comme ayant seule des droits civils et des responsabilités à ses yeux. Aussi est-ce à cette association que reviendra l'usage des temples et des édifices sacrés. C'est elle qui possédera tous les biens ecclésiastiques, meubles et immeubles; c'est elle qui disposera, quoique d'une manière temporaire seulement, des évêchés, des presbytères et des séminaires! C'est elle, enfin, qui administrera les biens, réglera les quêtes et recevra les aumônes et les legs destinés au culte religieux. Quant au corps hiérarchique des pasteurs, on fait sur lui un silence absolu! Et si la loi prescrit que les associations cultuelles doivent être constituées conformément aux règles d'organisation générale du culte, dont elles se proposent d'assurer l'exercice, d'autre part, on a bien soin de déclarer que, dans tous les différends qui pourront naître relativement à leurs biens, seul le Conseil d'État sera compétent. Ces associations cultuelles elles-mêmes seront donc, vis-à-vis de l'autorité civile dans une dépendance telle, que l'autorité ecclésiastique, et c'est manifeste, n'aura plus sur elles aucun pouvoir. Combien toutes ces dispositions seront blessantes pour l'Eglise et contraires à ses droits et à sa constitution divine! Il n'est personne qui ne l'aperçoive au premier coup d'oeil, sans compter que la loi n'est pas conçue, sur ce point, en des termes nets et précis, qu'elle s'exprime d'une façon très vague et se prêtant largement à l'arbitraire et qu'on peut, dès lors, redouter de voir surgir de son interprétation même de plus grands maux !

L'Eglise ne sera pas libre

En outre, rien n'est plus contraire à la liberté de l'Eglise que cette loi. En effet, quand, par suite de l'existence des associations cultuelles, la loi de séparation empêche les pasteurs d'exercer la plénitude de leur autorité et de leur charge sur le peuple des fidèles; quand elle attribue la juridiction suprême sur ces associations cultuelles au Conseil d'Etat et qu'elle les soumet à toute une série de prescriptions en dehors du droit commun qui rendent leur formation difficile, et plus difficile encore leur maintien, quand, après avoir proclamé la liberté du culte, elle en restreint l'exercice par de multiples exceptions, quand elle dépouille l'Église de la police intérieure des temples pour en investir l'Etat, quand elle entrave la prédication de la foi et de la morale catholiques et édicte contre les clercs un régime pénal sévère et d'exception, quand elle sanctionne ces dispositions et plusieurs autres dispositions semblables où l'arbitraire peut aisément s'exercer, que fait-elle donc sinon placer l'Église dans une sujétion humiliante et, sous le prétexte de protéger l'ordre public, ravir à des citoyens paisibles, qui forment encore l'immense majorité en France, le droit sacré de pratiquer leur propre religion? Aussi. n'est-ce pas seulement en restreignant l'exercice de son culte auquel la loi de séparation réduit faussement toute l'essence de la religion, que l'Etat blesse l'Eglise, c'est encore en faisant obstacle à son influence toujours si bienfaisante sur le peuple et en paralysant de mille manières différentes son action.

C'est ainsi, entre autres choses, qu'il ne lui a pas suffi d'arracher à cette Eglise les ordres religieux, ses précieux auxiliaires dans le sacré ministère, dans l'enseignement, dans l'éducation, dans les oeuvres de charité chrétienne; mais qu'il la. prive encore des ressources qui constituent les moyens humains nécessaires à son existence et à l'accomplissement de sa mission.

Droit de propriété violé

Outre les préjudices et les injures que nous avons relevés jusqu'ici, la loi de séparation viole encore le droit de propriété de l'Eglise et elle le foule aux pieds! Contrairement à toute justice, elle dépouille cette Eglise d'une grande partie d'un patrimoine, qui lui appartient pourtant à des titres aussi multiples que sacrés. Elle supprime et annule toutes les fondations pieuses très légalement consacrées au culte divin ou à la prière pour les trépassés. Quant aux ressources que la libéralité catholique avait constituées pour le maintien des écoles chrétiennes, ou pour le fonctionnement des différentes oeuvres de bienfaisance cultuelles, elle les transfère à des établissements laïques où l'on chercherait vainement le moindre vestige de religion! En quoi elle ne viole pas seulement les droits de l'Eglise, mais encore la volonté formelle et explicite des donateurs et des testateurs!

Il nous est extrêmement douloureux aussi qu'au mépris de tous les droits, la loi déclare propriété de l'Etat, des départements ou des communes, tous les édifices ecclésiastiques antérieurs au Concordat. Et si la loi en concède l'usage indéfini et gratuit aux associations cultuelles, elle entoure cette concession de tant et de telles réserves qu'en réalité elle laisse aux pouvoirs publics la liberté d'en disposer.

Nous avons de plus les craintes les plus véhémentes en ce qui concerne la sainteté de ces temples, asiles augustes de la Majesté Divine et lieux mille fois chers, à cause de leurs souvenirs, à la piété du peuple français ! Car ils sont certainement en danger, s'ils tombent entre des mains laïques, d'être profanés! Quand la loi supprimant le budget des cultes exonère ensuite l'Etat de l'obligation de pourvoir aux dépenses cultuelles, en même temps elle viole un engagement contracté dans une convention diplomatique et elle blesse très gravement la justice. Sur ce point, en effet, aucun doute n'est possible et les documents historiques eux-mêmes en témoignent de la façon la plus claire. Si le gouvernement français assuma, dans le Concordat, la charge d'assurer aux membres du clergé un traitement qui leur permit de pourvoir, d'une façon convenable, à leur entretien et à celui du culte religieux, il ne fit point cela à titre de concession gratuite, il s'y obligea à titre de dédommagement partiel, au moins vis-à-vis de l'Eglise, dont l'Etat s'était approprié tes biens pendant la première Révolution.

D'autre part aussi, quand, dans ce même Concordat et par amour de la paix, le Pontife romain s'engagea, en son nom et au nom de ses successeurs à ne pas inquiéter les détenteurs des biens qui avaient été ainsi ravis à l'Eglise, il est certain qu'il ne fit cette promesse qu'à une condition: c'est que le gouvernement français s'engagerait à perpétuité à doter le clergé d'une façon convenable et à pourvoir aux frais du culte divin.

Principe de discorde

Enfin et comment, pourrions-nous bien nous taire sur ce point? En dehors des intérêts de l'Eglise qu'elle blesse, la nouvelle loi sera aussi des plus funestes à votre pays! Pas de doute, en effet, qu'elle ne ruine lamentablement l'union et la concorde des âmes. Et cependant, sans cette union et sans cette concorde, aucune nation ne peut vivre ou prospérer. Voilà pourquoi, dans la situation présente de l'Europe surtout, cette harmonie parfaite forme le voeu le plus ardent de tous ceux, en France, qui, aimant vraiment, leur pays, ont encore à coeur le salut de la patrie.

Quant à Nous, à l'exemple de notre prédécesseur et héritier de sa prédilection toute particulière pour votre nation, nous nous sommes efforcé sans doute de maintenir la religion de vos aïeux dans l'intégrale possession de tous ses droits parmi vous, mais, en même temps, et toujours ayant devant les yeux cette paix fraternelle, dont le lien le plus étroit est certainement la religion, nous avons travaillé à vous raffermir tous dans l'union. Aussi, nous ne pouvons pas voir, sans la plus vive angoisse, que le gouvernement français vient d'accomplir un acte qui, en attisant, sur le terrain religieux, des passions excitées déjà d'une façon trop funeste, semble de nature à bouleverser de fond en comble tout votre pays.

La condamnation

C'est pourquoi, Nous souvenant de notre charge apostolique et conscient de l'impérieux devoir qui nous incombe de défendre contre toute attaque- et de maintenir dans leur intégrité absolue les droits inviolables et sacrés de l'Eglise, en vertu de l'autorité suprême que Dieu nous a conférée, Nous, pour les motifs exposés ci-dessus, nous réprouvons et nous condamnons la loi votée en France sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat comme profondément injurieuse vis-à-vis de Dieu, qu'elle renie officiellement, en posant en principe que la République ne reconnaît aucun culte.

Nous la réprouvons et condamnons comme violant le droit naturel, le droit des gens et la fidélité due aux traités, comme contraire à la constitution divine de l'Eglise, à ses droits essentiels, à sa liberté, comme renversant la justice et foulant aux pieds les droits de propriété que l'Eglise a acquis à des titres multiples et, en outre, en vertu du Concordat.

Nous la réprouvons et condamnons comme gravement offensante pour la dignité de ce Siège apostolique, pour notre personne, pour l'épiscopat, pour le clergé et pour tous les catholiques français.

En conséquence, nous protestons solennellement de toutes nos forces contre la proposition, contre le vote et contre la promulgation de cette loi, déclarant qu'elle ne pourra jamais être alléguée contre les droits imprescriptibles et immuables de l'Eglise pour les infirmer.

Aux Evêques et au Clergé - Instructions Pratiques

Nous devions faire entendre ces graves paroles et vous les adresser à vous, vénérables Frères, au peuple de France et au monde chrétien tout entier, pour dénoncer le fait qui vient de se produire.

Assurément, profonde est notre tristesse, comme nous l'avons déjà dit, quand, par avance, nous mesurions du regard les maux que cette loi va déchaîner sur un peuple si tendrement aimé par nous, et elle nous émeut plus profondément encore à la pensée des peines, des souffrances, des tribulations de tout genre qui vont vous incomber à vous aussi vénérables Frères, et à votre clergé tout entier.

Mais, pour nous garder au milieu des sollicitudes si accablantes contre toute affliction excessive et contre tous les découragements, nous avons le ressouvenir de la Providence divine toujours si miséricordieuse et l'espérance mille fois vérifiée que jamais Jésus-Christ n'abandonnera son Eglise, que jamais, il ne la privera de son indéfectible appui. Aussi, sommes-nous bien loin d'éprouver la moindre crainte pour cette Eglise. Sa force est divine comme son immuable stabilité. L'expérience des siècles le démontre victorieusement. Personne n'ignore, en effet, les calamités innombrables et plus terribles les unes que les autres qui ont fondu sur elle pendant cette longue durée et là où toute institution purement humaine eût dû nécessairement s'écrouler, l'Église a toujours puisé dans ses épreuves une force plus rigoureuse et une plus opulente fécondité.

Quant aux lois de persécution dirigées contre elle, l'histoire nous l'enseigne, et dans des temps assez rapprochés la France elle-même nous le prouve, forgées par la haine, elles finissent toujours par être abrogées avec sagesse, quand devient manifeste le préjudice qui en découle pour les Etats. Plaise à Dieu que ceux qui en ce moment sont au pouvoir en France suivent bientôt sur ce point l'exemple de ceux qui les y précédèrent. Plaise à Dieu qu'aux applaudissements de tous les gens de bien, ils ne tardent pas à rendre à la religion, source de civilisation et de prospérité pour les peuples, avec l'honneur qui lui est dû, la liberté ! En attendant, et aussi longtemps que durera une persécution oppressive, revêtus des armes de lumière (Rom. XIII, 12), les enfants de l'Eglise doivent agir de toutes leurs forces pour la vérité et pour la justice. C'est leur devoir toujours! C'est leur devoir aujourd'hui plus que jamais ! Dans ces saintes luttes, vénérables Frères, vous qui devez être les maîtres et les guides de tous les autres, vous apporterez toute l'ardeur de ce zèle vigilant et infatigable, dont de tout temps l'Episcopat français a fourni à sa louange des preuves si connues de tous; mais par dessus tout, nous voulons, car c'est une chose d'une importance extrême, que, dans tous les projets que vous entreprendrez pour la défense de l'Eglise, vous vous efforciez de réaliser la plus parfaite union de coeur et de volonté !

Nous sommes fermement résolu à vous adresser, en temps opportun, des instructions pratiques pour qu'elles vous soient une règle de conduite sûre au milieu des grandes difficultés de l'heure présente. Et nous sommes certain d'avance que vous vous y conformerez très fidèlement.

Poursuivez cependant l'oeuvre salutaire que vous faites, ravivez le plus possible la piété parmi les fidèles, promouvez et vulgarisez de plus en plus l'enseignement de la doctrine chrétienne, préservez toutes les âmes qui vous sont confiées des erreurs et des séductions qu'aujourd'hui elles rencontrent de tant de côtés ; instruisez, prévenez, encouragez, consolez votre troupeau; acquittez-vous enfin vis-à-vis de lui de tous les devoirs que vous impose votre charge pastorale.

Dans cette oeuvre, vous aurez sans doute, comme collaborateur infatigable, votre clergé. Il est riche en hommes remarquables par leur piété, leur science, leur attachement au Siège apostolique, et nous savons qu'il est toujours prêt à se dévouer sans compter sous votre direction pour le triomphe de l'Eglise et pour le salut éternel du prochain.

Bien certainement, aussi les membres de ce clergé comprendront que dans cette tourmente ils doivent avoir au coeur les sentiments qui furent jadis ceux des apôtres et ils se réjouiront d'avoir été jugés dignes de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus. Gaudeates quoniam digni habili sunt pro nomine Jesu contumeliam pari. (Act. V, 41.)

Ils revendiqueront donc vaillamment les droits et la liberté de l'Eglise, mais sans offenser personne. Bien plus soucieux de garder la charité comme le doivent surtout des ministres de Jésus-Christ, ils répondront à l'iniquité par la justice, aux outrages par la douceur, et aux mauvais traitements par des bienfaits.

Au peuple catholique - Appel à l'union

Et maintenant, c'est à vous que nous nous adressons, catholiques de France; que notre parole vous parvienne à tous comme un témoignage de la très tendre bienveillance avec laquelle nous ne cessons pas d'aimer votre pays et comme un réconfort au milieu des calamités redoutables qu'il va vous falloir traverser.

Vous savez le but que se sont assigné les sectes impies qui courbent vos têtes sous leur joug, car elles l'ont elles-mêmes proclamé avec une cynique audace : " Décatholiciser la France ".

Elles veulent arracher de vos coeurs, jusqu'à la dernière racine, la foi qui a comblé vos pères de gloire, la foi qui a rendu votre patrie prospère et grande parmi les nations, la foi qui vous soutient dans l'épreuve qui maintient la tranquillité et la paix à votre foyer et qui vous ouvre la voie vers l'éternelle félicité.

C'est de toute votre âme, vous le sentez bien, qu'il vous faut défendre cette foi ; mais ne vous y méprenez pas, travail et efforts seraient inutiles si vous tentiez de repousser les assauts qu'on vous livrera sans être fortement unis. Abdiquez donc tous les germes de désunion s'il en existait parmi vous et faites le nécessaire pour que, dans la pensée comme dans l'action, votre union soit aussi ferme qu'elle doit l'être parmi des hommes qui combattent pour la même cause, surtout quand cette cause est de celles au triomphe de qui chacun doit volontiers sacrifier quelque chose de ses propres opinions.

Si vous voulez dans la limite de vos forces, et comme c'est votre devoir impérieux, sauver la religion de vos ancêtres des dangers qu'elle court, il est de toute nécessité que vous déployiez dans une large mesure vaillance et générosité. Cette générosité vous l'aurez, nous en sommes sûr et, en vous montrant ainsi charitables vis-à-vis de ses ministres, vous inclinerez Dieu à se montrer de plus en plus charitable vis-à-vis de vous. Quant à la défense de la religion, si vous voulez l'entreprendre d'une manière digne d'elle, la poursuivre sans écart et avec efficacité, deux choses importent avant tout : vous devez d'abord vous modeler si fidèlement sur les préceptes de la loi chrétienne que vos actes et votre vie tout entière honorent la foi dont vous faites profession; vous devez ensuite demeurer très étroitement unis avec ceux à qui il appartient en propre de veiller ici-bas sur la religion, avec vos prêtres, avec vos évêques et surtout avec ce siège apostolique, qui est le pivot de la foi catholique et de tout ce qu'on peut faire en son nom. Ainsi armés pour la lutte, marchez sans crainte à la défense de l'Eglise, mais ayez bien soin que votre confiance se fonde tout entière sur le Dieu dont vous soutiendrez la cause et, pour qu'il vous secoure, implorez-le sans vous lasser.

Pour nous, aussi longtemps que vous aurez à lutter contre le danger, nous serons de coeur et d'âme au milieu de vous. Labeurs, peines, souffrances, nous partagerons tout avec vous et, adressant en même temps au Dieu qui a fondé l'Eglise et qui la conserve, nos prières les plus humbles et les plus instantes, nous le supplierons d'abaisser sur la France un regard de miséricorde, de l'arracher aux flots déchaînés autour d'elle et de lui rendre bientôt, par l'intercession de Marie Immaculée, le calme et la paix. Comme présage de ces bienfaits célestes et pour vous témoigner notre prédilection toute particulière, c'est de tout coeur que nous vous donnons notre bénédiction apostolique, à vous, vénérables Frères, à votre clergé et au peuple français tout entier.

Donné à Rome, auprès de Saint-Pierre, le 11 février de l'année 1906, de notre pontificat la troisième.



vendredi 28 septembre 2007

ERNEST PSICHARI

Ernest Psichari

Ernest Psichari, jeune écrivain mort parmi les premiers officiers de la Grande Guerre, est une figure étonnante et paradoxale des milieux intellectuels du début du siècle. Petit-fils d'Ernest Renan, fils du fondateur de la Ligue des Droits de l'homme pendant l'affaire Dreyfus, il grandit dans le monde brillant qui enfanta l'intelligentsia de gauche. Son engagement dans l'armée et sa conversion au catholicisme transforment l'ami d'Anatole France et de Jean Jaurès, le disciple préféré de Péguy, en héros des milieux conservateurs. Barrès et Claudel tentent de rallier l'officier d'artillerie coloniale au parti de l'ordre. Mais Psichari demeure le jeune homme scandalisé par l'exploitation des autochtones au Tchad et en Mauritanie, le spirituel soucieux de tolérance religieuse et le philosophe défenseur de l'intelligence contre la violence. L'éternel amoureux de Jeanne Maritain, le chrétien passionné par la révolution sociale tente d'allier le don de soi à Dieu et à la France avec le combat pour la liberté.

Cette biographie passionnante, nourrie de nombreux documents inédits, révèle un personnage tourmenté, attachant par ses faiblesses et son courage, dont le livre « Le Voyage du centurion » marquera profondément Charles de Gaulle et François Mauriac.



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Le beffroi de Bailleul


Le beffroi

Cet édifice symbole des libertés communales a été édifié au XIIème siècle. Le beffroi qui devait être en bois à l'origine, a été rebâti en pierres.
Plusieurs fois détruit par suite de guerres ou d'incendie, il a toujours été reconstruit dans le même style. La dernière construction date de 1932 par l'architecte Louis-Marie Cordonnier. A la base du beffroi se trouve la salle gothique. Cette ancienne salle des gardes date du XIIIème siècle et est classée au titre des Monuments historiques depuis le 11 décembre 1922.

Son plafond est formé de quatre voûtes, soutenues par un pilier en grès au centre de la pièce. Ses murs mesurent environ 1,20 m d'épaisseur.

Le beffroi culmine à 62m et est coiffé d'un clocher à bulbe au sommet duquel la sirène Mélusine veille sur la ville. Il abrite le bureau du maire et le carillon qu'on entendit pour la première fois en 1777. Après la destruction du beffroi lors de la première guerre mondiale, une seule cloche fut retrouvée intacte. Elle se trouve aujourd'hui dans l'escalier d'honneur de la mairie. Le carillon compte 35 cloches pour un poids total de 5193 kilos. Le système de ritournelles comporte un tambour de 1,20m de long, 1m de diamètre percé de 7200 trous.






ENCYCLIQUE RERUM NOVARUM

RERUM NOVARUM

LETTRE ENCYCLIQUE
DE SA SAINTETÉ LE PAPE LÉON XIII





A tous Nos Vénérables Frères, les Patriarches, Primats, Archevêques et Evêques du monde catholique, en grâce et communion avec le Siège Apostolique.

Vénérables Frères, Salut et Bénédiction apostolique.

La soif d'innovations (1) qui depuis longtemps s'est emparée des sociétés et les tient dans une agitation fiévreuse devait, tôt ou tard, passer des régions de la politique dans la sphère voisine de l'économie sociale. En effet, l'industrie s'est développée et ses méthodes se sont complètement renouvelées. Les rapports entre patrons et ouvriers se sont modifiés. La richesse a afflué entre les mains d'un petit nombre et la multitude a été laissée dans l'indigence. Les ouvriers ont conçu une opinion plus haute d'eux-mêmes et ont contracté entre eux une union plus intime. Tous ces faits, sans parler de la corruption des moeurs, ont eu pour résultat un redoutable conflit.

Partout, les esprits sont en suspens et dans une anxieuse attente, ce qui seul suffit à prouver combien de graves intérêts sont ici engagés. Cette situation préoccupe à la fois le génie des savants, la prudence des sages, les délibérations des réunions populaires, la perspicacité des législateurs et les conseils des gouvernants. En ce moment, il n'est pas de question qui tourmente davantage l'esprit humain.

C'est pourquoi, Vénérables Frères, ce que, pour le bien de l'Eglise et le salut commun des hommes, Nous avons fait ailleurs par Nos Lettres sur la Souveraineté politique (2), la Liberté humaine (3), la Constitution chrétienne des Etats (4), et sur d'autres sujets analogues, afin de réfuter selon qu'il Nous semblait opportun les opinions erronées et fallacieuses, Nous jugeons devoir le réitérer aujourd'hui et pour les mêmes motifs en vous entretenant de la Condition des ouvriers. Ce sujet, Nous l'avons, suivant l'occasion, effleuré plusieurs fois. Mais la conscience de Notre charge apostolique Nous fait un devoir de le traiter dans cette encyclique plus explicitement et avec plus d'ampleur, afin de mettre en évidence les principes d'une solution conforme à la vérité et à l'équité.

Le problème n'est pas aisé à résoudre, ni exempt de péril. Il est difficile, en effet, de préciser avec justesse les droits et les devoirs qui règlent les relations des riches et des prolétaires, des capitalistes et des travailleurs. D'autre part, le problème n'est pas sans danger, parce que trop souvent d'habiles agitateurs cherchent à en dénaturer le sens et en profitent pour exciter les multitudes et fomenter les troubles.

Quoi qu'il en soit, Nous sommes persuadé, et tout le monde en convient, qu'il faut, par des mesures promptes et efficaces, venir en aide aux hommes des classes inférieures, attendu qu'ils sont pour la plupart dans une situation d'infortune et de misère imméritées.

Le dernier siècle a détruit, sans rien leur substituer, les corporations anciennes qui étaient pour eux une protection. Les sentiments religieux du passé ont disparu des lois et des institutions publiques et ainsi, peu à peu, les travailleurs isolés et sans défense se sont vu, avec le temps, livrer à la merci de maîtres inhumains et à la cupidité d'une concurrence effrénée. Une usure dévorante est venue accroître encore le mal. Condamnée à plusieurs reprises par le jugement de l'Eglise, elle n'a cessé d'être pratiquée sous une autre forme par des hommes avides de gain et d'une insatiable cupidité. À tout cela, il faut ajouter la concentration entre les mains de quelques-uns de l'industrie et du commerce devenus le partage d'un petit nombre d'hommes opulents et de ploutocrates qui imposent ainsi un joug presque servile à l'infinie multitude des prolétaires.

Les socialistes, pour guérir ce mal, poussent à la haine jalouse des pauvres contre les riches. Ils prétendent que toute propriété de biens privés doit être supprimée, que les biens d'un chacun doivent être communs à tous, et que leur administration doit revenir aux municipalités ou à l'Etat. Moyennant ce transfert des propriétés et cette égale répartition entre les citoyens des richesses et de leurs avantages, ils se flattent de porter un remède efficace aux maux présents.

Mais pareille théorie, loin d'être capable de mettre fin au conflit, ferait tort à la classe ouvrière elle-même, si elle était mise en pratique. D'ailleurs, elle est souverainement injuste en ce qu'elle viole les droits légitimes des propriétaires, qu'elle dénature les fonctions de l'Etat et tend à bouleverser de fond en comble l'édifice social. De fait, comme il est facile de le comprendre, la raison intrinsèque du travail entrepris par quiconque exerce un métier, le but immédiat visé par le travailleur, c'est d'acquérir un bien qu'il possédera en propre et comme lui appartenant.

Car s'il met à la disposition d'autrui ses forces et son énergie, ce n'est évidemment que pour obtenir de quoi pourvoir à son entretien et aux besoins de la vie. Il attend de son travail le droit strict et rigoureux, non seulement de recevoir son salaire, mais encore d'en user comme bon lui semblera.

Si donc, en réduisant ses dépenses, il est arrivé à faire quelques épargnes et si, pour s'en assurer la conservation, il les a par exemple réalisées dans un champ, ce champ n'est assurément que du salaire transformé. Le fonds acquis ainsi sera la propriété de l'ouvrier, au même titre que la rémunération même de son travail. Or, il est évident qu'en cela consiste précisément le droit de propriété mobilière et immobilière.

Ainsi, cette conversion de la propriété privée en propriété collective, préconisée par le socialisme, n'aurait d'autre effet que de rendre la situation des ouvriers plus précaire, en leur retirant la libre disposition de leur salaire et en leur enlevant, par le fait même, tout espoir et toute possibilité d'agrandir leur patrimoine et d'améliorer leur situation.

Mais, et ceci paraît plus grave encore, le remède proposé est en opposition flagrante avec h justice, car la propriété privée et personnelle est pour l'homme de droit naturel.

Il y a en effet, sous ce rapport, une très grande différence entre l'homme et les animaux sans raison. Ceux-ci ne se gouvernent pas eux-mêmes; ils sont dirigés et gouvernés par la nature, moyennant un double instinct qui, d'une part, tient leur activité constamment en éveil et en développe les forces, de l'autre, provoque tout à la fois et circonscrit chacun de leurs mouvements. Un premier instinct les porte à la conservation et à la défense de leur vie propre, un second à la propagation de l'espèce. Les animaux obtiennent aisément ce double résultat par l'usage des choses présentes, mises à leur portée. Ils seraient d'ailleurs incapables de tendre au-delà, puisqu'ils ne sont mus que par les sens et par chaque objet particulier que les sens perçoivent. Bien autre est la nature humaine. En l'homme d'abord se trouvent en leur perfection les facultés de l'animal. Dès lors, il lui revient, comme à l'animal, de jouir des objets matériels. Mais ces facultés, même possédées dans leur plénitude, bien loin de constituer toute la nature humaine, lui sont bien inférieures et sont faites pour lui obéir et lui être assujetties. Ce qui excelle en nous, qui nous fait hommes et nous distingue essentiellement de la bête, c'est l'esprit ou la raison. En vertu de cette prérogative, il faut reconnaître à l'homme, non seulement la faculté générale d'user des choses extérieures à la façon des animaux, mais en plus le droit stable et perpétuel de les posséder, tant celles qui se consomment par l'usage que celles qui demeurent après nous avoir servi.

Une considération plus profonde de la nature humaine va faire ressortir mieux encore cette vérité. L'homme embrasse par son intelligence une infinité d'objets; aux choses présentes, il ajoute et rattache les choses futures; il est le maître de ses actions. Aussi, sous la direction de la loi éternelle et sous le gouvernement universel de la Providence divine, est-il en quelque sorte à lui-même, et sa loi, et sa providence. C'est pourquoi il a le droit de choisir les choses qu'il estime les plus aptes à pourvoir, non seulement au présent, mais encore au futur. Il doit donc avoir sous sa domination, non seulement les produits de la terre, mais encore la terre elle-même qu'il voit appelée à être, par sa fécondité, la pourvoyeuse de son avenir. Les nécessités de l'homme ont pour ainsi dire de perpétuels retours: satisfaites aujourd'hui, elles renaissent demain avec de nouvelles exigences. Il a donc fallu, pour qu'il pût y faire droit en tout temps, que la nature naît à sa disposition un élément stable et permanent, capable de lui en fournir perpétuellement les moyens. Or, cette perpétuité de ressources ne pouvait être fournie que par la terre avec ses richesses inépuisables.

Et qu'on n'en appelle pas à la providence de l'Etat, car l'Etat est postérieur à l'homme. Avant qu'il pût se former, l'homme déjà avait reçu de la nature le droit de vivre et de protéger son existence.

Qu'on n'oppose pas non plus à la légitimité de la propriété privée le fait que Dieu a donné la terre au genre humain tout entier pour qu'il l'utilise et en jouisse. Si l'on dit que Dieu l'a donnée en commun aux hommes, cela signifie non pas qu'ils doivent la posséder confusément, mais que Dieu n'a assigné de part à aucun homme en particulier.

Il a abandonné la délimitation des propriétés à la sagesse des hommes et aux institutions des peuples. Au reste, quoique divisée en propriétés privées, la terre ne laisse pas de servir à la commune utilité de tous, attendu qu'il n'est personne parmi les mortels qui ne se nourrisse du produit des champs. Qui en manque y supplée par le travail. C'est pourquoi l'on peut affirmer en toute vérité que le travail est le moyen universel de pourvoir aux besoins de la vie, soit qu'on l'exerce sur sa propre terre ou dans quelque métier dont la rémunération se tire seulement des produits de la terre et s'échange avec eux.

De tout cela, il ressort une fois de plus que la propriété privée est pleinement conforme à la nature. La terre, sans doute, fournit à l'homme avec abondance les choses nécessaires à la conservation de sa vie et, plus encore, à son perfectionnement, mais elle ne le pourrait d'elle-même sans la culture et les soins de l'homme.

Or, celui-ci, consacrant son génie et ses forces à l'utilisation de ces biens de la nature, s'attribue par le fait même cette part de la nature matérielle qu'il a cultivée et où il a laissé comme une certaine empreinte de sa personne, si bien qu'en toute justice il en devient le propriétaire et qu'il n'est permis d'aucune manière de violer son droit.

La force de ces raisonnements est d'une évidence telle qu'il est permis de s'étonner que certains tenants d'opinions surannées puissent encore y contredire, en accordant sans doute il l'individu l'usage du sol et les fruits des champs, mais en lui refusant le droit de posséder en qualité de propriétaire ce sol où il a bâti, cette portion de terre qu'il a cultivée. Ils ne voient donc pas qu'ils dépouillent par là cet homme du fruit de son labeur. Ce champ travaillé par la main du cultivateur a changé complètement d'aspect: il était sauvage, le voilà défriché; d'infécond, il est devenu fertile. Ce qui l'a rendu meilleur est inhérent au sol et se confond tellement avec lui, qu'il serait en grande partie impossible de l'en séparer. Or, la justice tolérerait-elle qu'un étranger vînt alors s'attribuer et utiliser cette terre arrosée des sueurs de celui qui l'a cultivée ? De même que l'effet suit la cause, ainsi est-il juste que le fruit du travail soit au travailleur.

C'est donc avec raison que l'universalité du genre humain, sans s'émouvoir des opinions contraires d'un petit groupe, reconnaît, en considérant attentivement la nature, que dans ses lois réside le premier fondement de la répartition des biens et des propriétés privées. C'est avec raison que la coutume de tous les siècles a sanctionné une situation si conforme à la nature de l'homme et à la vie calme et paisible des sociétés. De leur côté, les lois civiles qui tirent leur valeur, quand elles sont justes, de la loi naturelle, confirment ce même droit et le protègent par la force. Enfin, l'autorité des lois divines vient y apposer son sceau en défendant, sous une peine très grave, jusqu'au désir même du bien d'autrui. "Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain, ni sa maison, ni son champ, ni sa servante, ni son boeuf, ni son âne, ni rien de ce qui est à lui" (5).

Cependant, ces droits qui sont innés à chaque homme pris isolément apparaissent plus rigoureux encore quand on les considère dans leurs relations et leur connexité avec les devoirs de la vie domestique. Nul doute que, dans le choix d'un genre de vie, il ne soit loisible à chacun, ou de suivre le conseil de Jésus-Christ sur la virginité, ou de contracter mariage. Aucune loi humaine ne saurait enlever d'aucune façon le droit naturel et primordial de tout homme au mariage, ni écarter la fin principale pour laquelle il a été établi par Dieu dès l'origine : "Croissez et multipliez-vous" (6) Voilà donc constituée la famille, c'est-à-dire la société domestique, société très petite sans doute, mais réelle et antérieure à toute société civile à laquelle, dès lors, il faudra de toute nécessité attribuer certains droits et certains devoirs absolument indépendants de l'Etat.

Ce droit de propriété que Nous avons, au nom même de la nature, revendiqué pour l'individu, doit être maintenant transféré à l'homme, chef de famille. Bien plus, en passant dans la société domestique, il y acquiert d'autant plus de force que la personne humaine y reçoit plus d'extension. La nature impose au père de famille le devoir sacré de nourrir et d'entretenir ses enfants. De plus, comme les enfants reflètent la physionomie de leur père et sont une sorte de prolongement de sa personne, la nature lui inspire de se préoccuper de leur avenir et de leur créer un patrimoine qui les aide à se défendre honnêtement dans les vicissitudes de la vie, contre les surprises de la mauvaise fortune. Or, il ne pourra leur créer ce patrimoine sans posséder des biens productifs qu'il puisse leur transmettre par voie d'héritage.

Aussi bien que la société civile, la famille, comme Nous l'avons dit plus haut, est une société proprement dite, avec son autorité propre qui est l'autorité paternelle. C'est pourquoi, toujours sans doute dans la sphère que lui détermine sa fin immédiate, elle jouit, pour le choix et l'usage de tout ce qu'exigent sa conservation et l'exercice d'une juste indépendance, de droits au moins égaux à ceux de la société civile. Au moins égaux, disons-Nous, car la société domestique a sur la société civile une priorité logique et une priorité réelle, auxquelles participent nécessairement ses droits et ses devoirs. Si les citoyens, si les familles entrant dans la société humaine y trouvaient, au lieu d'un soutien, un obstacle, au lieu d'une protection, une diminution de leurs droits, la société serait plutôt à rejeter qu'à rechercher.

C'est une erreur grave et funeste de vouloir que le pouvoir civil pénètre à sa guise jusque dans le sanctuaire de la famille. Assurément, s'il arrive qu'une famille se trouve dans une situation matérielle critique et que, privée de ressources, elle ne puisse d'aucune manière en sortir par elle-même, il est juste que, dans de telles extrémités, le pouvoir public vienne à son secours, car chaque famille est un membre de la société. De même, si un foyer domestique est quelque part le théâtre de graves violations des droits mutuels, il faut que le pouvoir public y rétablisse le droit de chacun. Ce n'est point là empiéter sur les droits des citoyens, mais leur assurer une défense et une protection réclamées par la justice. Là toutefois doivent s'arrêter ceux qui détiennent les pouvoirs publics' la nature leur interdit de dépasser ces limites.

L'autorité paternelle ne saurait être abolie ni absorbée par l'Etat, car elle a sa source là où la vie humaine prend la sienne. " Les fils sont quelque chose de leur père. " Ils sont en quelque sorte une extension de sa personne. Pour parler exactement, ce n'est pas immédiatement par eux-mêmes qu'ils s'agrègent et s'incorporent à la société civile, mais par l'intermédiaire de la société familiale dans laquelle ils sont nés. De ce que " les fils sont naturellement quelque chose de leur père, ils doivent rester sous la tutelle des parents jusqu'à ce qu'ils aient acquis l'usage du libre arbitre. " (7) Ainsi, en substituant à la providence paternelle la providence de l'Etat, les socialistes vont contre la justice naturelle et brisent les liens de la famille.

Mais on ne voit que trop les funestes conséquences de leur système: ce serait la confusion et le bouleversement de toutes les classes de la société, l'asservissement tyrannique et odieux des citoyens. La porte serait grande ouverte à l'envie réciproque, aux manoeuvres diffamatoires, à la discorde. Le talent et l'esprit d'initiative personnels étant privés de leurs stimulants, la richesse, par une conséquence nécessaire, serait tarie dans sa source même. Enfin le mythe tant caressé de l'égalité ne serait pas autre chose, en fait, qu'un nivellement absolu de tous les hommes dans une commune misère et dans une commune médiocrité.

De tout ce que Nous venons de dire, il résulte que la théorie socialiste de la propriété collective est absolument à répudier comme préjudiciable à ceux-là mêmes qu'on veut secourir, contraire aux droits naturels des individus, comme dénaturant les fonctions de l'Etat et troublant la tranquillité publique. Que ceci soit donc bien établi : le premier principe sur lequel doit se baser le relèvement des classes inférieures est l'inviolabilité de la propriété privée.

A l'aide de ces données, Nous allons montrer où l'on peut trouver le remède que l'on cherche. C'est avec assurance que Nous abordons ce sujet, et dans toute la plénitude de Notre droit. La question qui s'agite est d'une nature telle, qu'à moins de faire appel à la religion et à l'Eglise, il est impossible de lui trouver jamais une solution. Or, comme c'est à Nous principalement qu'ont été confiées la sauvegarde de la religion et la dispensation de ce qui est du domaine de l'Eglise, Nous taire serait aux yeux de tous négliger Notre devoir.

Assurément, une question de cette gravité demande encore à d'autres agents leur part d'activité et d'efforts. Nous voulons parler des chefs d'État, des patrons et des riches, des ouvriers eux-mêmes dont le sort est ici en jeu. Mais ce que Nous affirmons sans hésitation, c'est l'inanité de leur action en dehors de celle de l'Eglise. C'est l'Eglise, en effet, qui puise dans l'Evangile des doctrines capables, soit de mettre fin au conflit, soit au moins de l'adoucir en lui enlevant tout ce qu'il a d'âpreté et d'aigreur; l'Eglise, qui ne se contente pas d'éclairer l'esprit de ses enseignements, mais s'efforce encore de régler en conséquence la vie et les moeurs de chacun; l'Eglise qui, par une foule d'institutions éminemment bienfaisantes, tend à améliorer le sort des classes pauvres; l'Eglise qui veut et désire ardemment que toutes les classes mettent en commun leurs lumières et leurs forces, pour donner à la question ouvrir la meilleure solution possible; l'Eglise enfin qui estime que les lois et l'autorité publique doivent, avec mesure et avec sagesse sans doute, apporter à cette solution leur part de concours.

Le premier principe à mettre en avant, c'est que l'homme doit accepter cette nécessité de sa nature qui rend impossible, dans la société civile, l'élévation de tous au même niveau. Sans doute, c'est là ce que poursuivent les socialistes. Mais contre la nature, tous les efforts sont vains. C'est elle, en effet, qui a disposé parmi les hommes des différences aussi multiples que profondes; différences d'intelligence, de talent, de santé, de force; différences nécessaires d'où naît spontanément l'inégalité des conditions. Cette inégalité d'ailleurs tourne au profit de tous, de la société comme des individus. La vie sociale requiert dans son organisation des aptitudes variées et des fonctions diverses, et le meilleur stimulant à assumer ces fonctions est, pour les hommes, la différence de leurs conditions respectives.

Pour ce qui regarde le travail en particulier, même dans l'état d'innocence, l'homme n'était nullement destiné à vivre dans l'oisiveté. Mais ce que la volonté eût embrassé librement comme un exercice agréable est devenu, après le péché, une nécessité imposée comme une expiation et accompagnée de souffrance. "La terre est maudite à cause de toi. C'est par un travail pénible que tu en tireras ta nourriture tous les jours de ta vie" (8).

De même, toutes les autres calamités qui ont fondu sur l'homme n'auront pas ici-bas de fin ni de trêve, parce que les funestes conséquences du péché sont dures à supporter, amères, pénibles, et qu'elles se font sentir à l'homme, sans qu'il puisse y échapper, jusqu'à la fin de sa vie. Oui, la douleur et la souffrance sont l'apanage de l'humanité, et les hommes auront beau tout essayer, tout tenter pour les bannir, ils n'y réussiront jamais, quelques ressources, qu'ils déploient et quelques forces qu'ils mettent en jeu. S'il en est qui s'en attribuent le pouvoir, s'il en est qui promettent au pauvre une vie exempte de souffrances et de peines, tout adonnée au repos et à de perpétuelles jouissances, ceux-là certainement trompent le peuple et le bercent d'illusions d'où sortiront un jour des maux plus grands que ceux du présent. Il vaut mieux voir les choses telles qu'elles sont et, comme Nous l'avons dit, chercher ailleurs un remède capable de soulager nos maux.

L'erreur capitale, dans la question présente, c'est de croire que les deux classes sont ennemies-nées l'une de l'autre, comme si la nature avait armé les riches et les pauvres pour qu'ils se combattent mutuellement dans un duel obstiné. C'est là une affirmation à ce point déraisonnable et fausse que la vérité se trouve dans une doctrine absolument opposée.

Dans le corps humain, les membres malgré leur diversité s'adaptent merveilleusement l'un à l'autre, de façon à former un tout exactement proportionné et que l'on pourrait appeler symétrique. Ainsi, dans la société, les deux classes sont destinées par la nature à s'unir harmonieusement dans un parfait équilibre. Elles ont un impérieux besoin l'une de l'autre : il ne peut y avoir de capital sans travail, ni de travail sans capital. La concorde engendre l'ordre et la beauté. Au contraire, d'un conflit perpétuel il ne peut résulter que la confusion des luttes sauvages. Or, pour dirimer ce conflit et couper le mal dans sa racine, les institutions chrétiennes ont à leur disposition des moyens admirables et variés.

Et d'abord tout l'ensemble des vérités religieuses, dont l'Eglise est la gardienne et l'interprète, est de nature à rapprocher et à réconcilier les riches et les pauvres, en rappelant aux deux classes leurs devoirs mutuels et, avant tous les autres, ceux qui dérivent de la justice.

Parmi ces devoirs, voici ceux qui regardent le pauvre et l'ouvrier. Il doit fournir intégralement et fidèlement tout le travail auquel il s'est engagé par contrat libre et conforme à l'équité. Il ne doit point léser son patron, ni dans ses biens, ni dans sa personne. Ses revendications mêmes doivent être exemptes de violences et ne jamais revêtir la forme de séditions. Il doit fuir les hommes pervers qui, dans des discours mensongers, lui suggèrent des espérances exagérées et lui font de grandes promesses qui n'aboutissent qu'à de stériles regrets et à la ruine des fortunes.

Quant aux riches et aux patrons, ils ne doivent point traiter l'ouvrier en esclave; il est juste qu'ils respectent en lui la dignité de l'homme, relevée encore par celle du chrétien. Le travail du corps, au témoignage commun de la raison et de la philosophie chrétienne, loin d'être un sujet de honte, fait honneur à l'homme, parce qu'il lui fournit un noble moyen de sustenter sa vie. Ce qui est honteux et inhumain, c'est d'user de l'homme comme d'un vil instrument de lucre, de ne restituer qu'en proportion de la vigueur de ses bras. Le christianisme, en outre, prescrit qu'il soit tenu compte des intérêts spirituels de l'ouvrier et du bien de son âme. Aux patrons, il revient de veiller à ce que l'ouvrier ait un temps suffisant à consacrer à la piété; qu'il ne soit point livré à la séduction et aux sollicitations corruptrices; que rien ne vienne affaiblir en lui l'esprit de famille, ni les habitudes d'économie. Il est encore défendu aux patrons d'imposer à leurs subordonnés un travail au-dessus de leurs forces ou en désaccord avec leur âge ou leur sexe.

Mais, parmi les devoirs principaux du patron, il faut mettre au premier rang celui de donner à chacun le salaire qui convient. Assurément, pour fixer la juste mesure du salaire, il y a de nombreux points de vue à considérer. Mais d'une manière générale, que le riche et le patron se souviennent qu'exploiter la pauvreté et la misère, et spéculer sur l'indigence sont choses que réprouvent également les lois divines et humaines. Ce serait un crime à crier vengeance au ciel, que de frustrer quelqu'un du prix de ses labeurs. "Voilà que le salaire que vous avez dérobé par fraude à vos ouvriers crie contre vous, et que leur clameur est montée jusqu'aux oreilles du Dieu des armées". (9)

Enfin, les riches doivent s'interdire religieusement tout acte violent, toute fraude, toute manoeuvre usuraire qui serait de nature à porter atteinte à l'épargne du pauvre, d'autant plus que celui-ci est moins apte à se défendre, et que son avoir est plus sacré parce que plus modique.

L'obéissance à ces lois, Nous le demandons, ne suffirait-elle pas à elle seule pour faire cesser tout antagonisme et en supprimer les causes ? L'Eglise, toutefois, instruite et dirigée par Jésus-Christ, porte ses vues encore plus haut. Elle propose un ensemble de préceptes plus complet, parce qu'elle ambitionne de resserrer l'union des deux classes jusqu'à les unir l'une à l'autre par les liens d'une véritable amitié.

Nul ne saurait avoir une intelligence vraie de la vie mortelle, ni l'estimer à sa juste valeur, s'il ne s'élève jusqu'à la considération de cette autre vie qui est immortelle. Celle-ci supprimée, toute espèce et toute vraie notion de bien disparaît. Bien plus, l'univers entier devient un impénétrable mystère. Quand nous aurons quitté cette vie, alors seulement nous commencerons à vivre. Cette vérité qui nous est enseignée par la nature elle-même est un dogme chrétien. Sur lui repose, comme sur son premier fondement, tout l'ensemble de la religion. Non, Dieu ne nous a point faits pour ces choses fragiles et caduques, mais pour les choses célestes et éternelles. Il nous a donné cette terre, non point comme une demeure fixe, mais comme un lieu d'exil.

Que vous abondiez en richesses et en tout ce qui est réputé biens de la fortune, ou que vous en soyez privé, cela n'importe nullement à l'éternelle béatitude. Ce qui importe, c'est l'usage que vous en faites. Malgré la plénitude de la rédemption qu'il nous apporte, Jésus-Christ n'a point supprimé les afflictions qui forment presque toute la trame de la vie mortelle ; il en a fait des stimulants de la vertu et des sources de mérite, en sorte qu'il n'est point d'homme qui puisse prétendre aux récompenses s'il ne marche sur les traces sanglantes de Jésus-Christ. "Si nous souffrons avec lui, nous régnerons avec lui" (10).

D'ailleurs, en choisissant de plein gré la croix et les tourments, il en a singulièrement adouci la force et l'amertume. Afin de nous rendre la souffrance encore plus supportable, à l'exemple il a ajouté sa grâce et la promesse d'une récompense sans fin: "Car le moment si court et si léger des afflictions que nous souffrons en cette vie produit en nous le poids éternel d'une gloire souveraine et incomparable" (11).

Ainsi, les fortunés de ce monde sont avertis que les richesses ne les mettent pas à couvert de la douleur, qu'elles ne sont d'aucune utilité pour la vie éternelle, mais plutôt un obstacle (12), qu'ils doivent trembler devant les menaces insolites que Jésus-Christ profère contre les riches (13) ; qu'enfin il viendra un jour où ils devront rendre à Dieu, leur juge, un compte très rigoureux de l'usage qu'ils auront fait de leur fortune.

Sur l'usage des richesses, voici l'enseignement d'une excellence et d'une importance extrême que la philosophie a pu ébaucher, mais qu'il appartenait à l'Eglise de nous donner dans sa perfection et de faire passer de la théorie à la pratique. Le fondement de cette doctrine est dans la distinction entre la juste possession des richesses et leur usage légitime. La propriété privée, Nous l'avons vu plus haut, est pour l'homme de droit naturel. L'exercice de ce droit est chose non seulement permise, surtout à qui vit en société, mais encore absolument nécessaire. " Il est permis à l'homme de posséder en propre et c'est même nécessaire à la vie humaine. " (14) Mais si l'on demande en quoi il faut faire consister l'usage des biens, l'Eglise répond sans hésitation : " Sous ce rapport, l'homme ne doit pas tenir les choses extérieures pour privées, mais pour communes, de telle sorte qu'il en fasse part facilement aux autres dans leurs nécessités. C'est pourquoi l'Apôtre a dit : " Ordonne aux riches de ce siècle... de donner facilement, de communiquer leurs richesses (15)". "(16)

Nul assurément n'est tenu de soulager le prochain en prenant sur son nécessaire ou sur celui de sa famille, ni même de rien retrancher de ce que les convenances ou la bienséance imposent à sa personne : " Nul, en effet, ne doit vivre contrairement aux convenances. " (17)

Mais dès qu'on a accordé ce qu'il faut à la nécessité, à la bienséance, c'est un devoir de verser le superflu dans le sein des pauvres. "Ce qui reste, donnez-le en aumône" (18). C'est un devoir, non pas de stricte justice, sauf les cas d'extrême nécessité, mais de charité chrétienne, un devoir par conséquent dont on ne peut poursuivre l'accomplissement par l'action de la loi.

Mais au-dessus des jugements de l'homme et de ses lois, il y a la loi et le jugement de Jésus-Christ, notre Dieu, qui nous persuade de toutes manières de faire habituellement l'aumône. "Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir" (19), dit-il. Le Seigneur tiendra pour faite ou refusée à lui-même l'aumône qu'on aura faite ou refusée aux pauvres. "Chaque fois que vous avez fait l'aura ne à l'un des moindres de mes frères que vous voyez, c'est à moi que vous l'avez faite" (20).

Du reste, voici en quelques mots le résumé de cette doctrine. Quiconque a reçu de la divine Bonté une plus grande abondance, soit des biens extérieurs et du corps, soit des biens de l'âme, les a reçus dans le but de les faire servir à son propre perfectionnement et également, comme ministre de la Providence, au soulagement des autres. C'est pourquoi " quelqu'un a-t-il le talent de la parole, qu'il prenne garde de se taire; une surabondance de biens, qu'il ne laisse pas la miséricorde s'engourdir au fond de son cœur; l'art de gouverner, qu'il s'applique avec soin à en partager avec son frère et l'exercice et les bienfaits. " (21)

Quant aux déshérités de la fortune, ils apprennent de l'Eglise que, selon le jugement de Dieu lui-même, la pauvreté n'est pas un opprobre et qu'il ne faut pas rougir de devoir gagner son pain à la sueur de son front. C'est ce que Jésus-Christ Notre Seigneur a confirmé par son exemple, lui qui, "tout riche qu'il était, s'est fait indigent" (22) pour le salut des hommes; qui, fils de Dieu et Dieu lui-même, a voulu passer aux yeux du monde pour le fils d'un ouvrier; qui est allé jusqu'à consumer une grande partie de sa vie dans un travail mercenaire. "N'est-ce pas le charpentier, fils de Marie ?" (23)

Quiconque tiendra sous son regard le Modèle divin comprendra plus facilement ce que Nous allons dire: la vraie dignité de l'homme et son excellence résident dans ses moeurs, c'est-à-dire dans sa vertu; la vertu est le patrimoine commun des mortels, à la portée de tous, des petits et des grands, des pauvres et des riches; seuls la vertu et les mérites, partout où on les rencontre, obtiendront la récompense de l'éternelle béatitude. Bien plus, c'est vers les classes infortunées que le coeur de Dieu semble s'incliner davantage. Jésus-Christ appelle les pauvres des bienheureux (24), il invite avec amour à venir à lui, afin qu'il les console, tous ceux qui souffrent et qui pleurent (25) il embrasse avec une charité plus tendre les petits et les opprimés. Ces doctrines sont bien faites certainement pour humilier l'âme hautaine du riche et le rendre plus condescendant, pour relever le courage de ceux qui souffrent et leur inspirer de la résignation. Avec elle, se trouverait diminuée cette distance que l'orgueil se plaît à maintenir; on obtiendrait sans peine que des deux côtés on se donnât la main et que les volontés s'unissent dans une même amitié.

Mais c'est encore trop peu de la simple amitié : si l'on obéit aux préceptes du christianisme, c'est dans l'amour fraternel que s'opérera l'union. De part et d'autre, on saura et l'on comprendra que les hommes sont tous absolument issus de Dieu, leur Père commun; que Dieu est leur unique et commune fin, et que lui seul est capable de communiquer aux anges et aux hommes une félicité parfaite et absolue; que tous ils ont été également rachetés par Jésus-Christ et rétablis par lui dans leur dignité d'enfants de Dieu, et qu'ainsi un véritable lien de fraternité les unit, soit entre eux, soit au Christ leur Seigneur qui est le "premier-né parmi un grand nombre de frères". (26) Ils sauront enfin que tous les biens de la nature, tous les trésors de la grâce appartiennent en commun et indistinctement à tout le genre humain, et qu'il n'y a que les indignes qui soient déshérités des biens célestes. "Si vous êtes fils, vous êtes aussi héritiers : héritiers de Dieu, cohéritiers de Jésus-Christ" (27).

Tel est l'ensemble des droits et des devoirs qu'enseigne la philosophie chrétienne. Ne verrait-on pas l'apaisement se faire à bref délai, si ces enseignements pouvaient prévaloir dans les sociétés ?

Cependant, l'Eglise ne se contente pas d'indiquer où se trouve le remède, elle l'applique au mal de sa propre main. Elle est tout occupée à instruire et à élever les hommes d'après ses principes et sa doctrine. Elle a soin d'en répandre les eaux vivifiantes aussi loin et aussi largement qu'il lui est possible, par le ministère des évêques et du clergé. Puis, elle s'efforce de pénétrer dans les âmes et d'obtenir des volontés qu'elles se laissent conduire et gouverner par la règle des préceptes divins. Sur ce point capital et de très grande importance, parce qu'il renferme comme le résumé de tous les intérêts en cause, l'action de l'Eglise est souveraine. Les instruments dont elle dispose pour toucher les âmes lui ont été donnés à cette fin par Jésus-Christ et ils portent en eux une efficacité divine. Ils sont les seuls aptes à pénétrer jusque dans les profondeurs du coeur humain, les seuls capables d'amener l'homme à obéir aux injonctions du devoir, à maîtriser ses passions, à aimer Dieu et son prochain d'une charité sans mesure, à briser courageusement tous les obstacles qui entravent sa marche dans la voie de la vertu.

Il suffit de passer rapidement en revue par la pensée les exemples de l'antiquité. Les choses et les faits que Nous allons rappeler sont hors de toute controverse. Ainsi, il n'est pas douteux que la société civile des hommes ait été foncièrement renouvelée par les institutions chrétiennes ; que cette rénovation a eu pour effet de relever le niveau du genre humain ou, pour mieux dire, de le rappeler de la mort à la vie et de le porter à un si haut degré de perfection qu'on n'en vît de supérieur ni avant ni après, et qu'on n'en verra jamais dans tout le cours des siècles; qu'enfin c'est Jésus-Christ qui a été le principe de ces bienfaits et qui en doit être la fin ; car de même que tout est parti de lui, ainsi tout doit lui être rapporté. Quand donc l'Evangile eut rayonné dans le monde, quand les peuples eurent appris le grand mystère de l'Incarnation du Verbe et de la Rédemption des hommes, la vie de Jésus-Christ, Dieu et homme, envahit les sociétés et les imprégna tout entières de sa foi, de ses maximes et de ses lois. C'est pourquoi, si la société humaine doit être guérie, elle ne le sera que par le retour à la vie et aux institutions du christianisme.

A qui veut régénérer une société quelconque en décadence, on prescrit avec raison de la ramener à ses origines. La perfection de toute société consiste, en effet, à poursuivre et à atteindre la fin en vue de laquelle elle a été fondée, en sorte que tous les mouvements et tous les actes de la vie sociale naissent du même principe d'où est née la société. Aussi, s'écarter de la fin, c'est aller à la mort ; y revenir, c'est reprendre vie.

Ce que Nous disons du corps social tout entier s'applique également à cette classe de citoyens qui vivent de leur travail et qui forment la très grande majorité.

Qu'on ne pense pas que l'Eglise se laisse tellement absorber par le soin des âmes qu'elle néglige ce qui se rapporte à la vie terrestre et mortelle. Pour ce qui est en particulier de la classe des travailleurs, elle veut les arracher à la misère et leur procurer un sort meilleur, et elle fait tous ses efforts pour obtenir ce résultat.

Et certes, elle apporte à cette oeuvre un très utile concours, par le seul fait de travailler en paroles et en actes à ramener les hommes à la vertu. Dès que les moeurs chrétiennes sont en honneur, elles exercent naturellement sur la prospérité temporelle leur part de bienfaisante influence. En effet, elles attirent la faveur de Dieu, principe et source de tout bien; elles compriment le désir excessif des richesses et la soif des voluptés, ces deux fléaux qui trop souvent jettent l'amertume et le dégoût dans le sein même de l'opulence;(28) elles se contentent enfin d'une vie et d'une nourriture frugales, et suppléent par l'économie à la modicité du revenu, écartant ces vices qui consument non seulement les petites, mais les plus grandes fortunes, et dissipent les plus gros patrimoines.

L'Eglise en outre pourvoit encore directement au bonheur des classes déshéritées par la fondation et le soutien d'institutions qu'elle estime propres à soulager leur misère. En ce genre de bienfaits, elle a même tellement excellé que ses propres ennemis ont fait son éloge.

Ainsi, chez les premiers chrétiens, telle était la force de la charité mutuelle, qu'il n'était point rare de voir les plus riches se dépouiller de leur patrimoine en faveur des pauvres. Aussi "l'indigence n'était-elle point connue parmi eux" (29).

Les Apôtres avaient confié la distribution quotidienne des aumônes aux diacres dont l'ordre avait été spécialement institué à cette fin. Saint Paul lui-même, quoique absorbé par une sollicitude qui embrassait toutes les Eglises, n'hésitait pas à entreprendre de pénibles voyages pour aller en personne porter des secours aux chrétiens indigents. Des secours du même genre étaient spontanément offerts par les fidèles dans chacune de leurs assemblées. Tertullien les appelle les dépôts de la piété, parce qu'on les employait " à entretenir et à inhumer les personnes indigentes, les orphelins pauvres des deux sexes, les domestiques âgés, les victimes du naufrage. " (30)

Voilà comment peu à peu s'est formé ce patrimoine que l'Eglise a toujours gardé avec un soin religieux comme le bien propre de la famille des pauvres. Elle est allée jusqu'à assurer des secours aux malheureux, en leur épargnant l'humiliation de tendre la main. Cette commune Mère des riches et des pauvres, profitant des merveilleux élans de charité qu'elle avait partout provoqués, fonda des sociétés religieuses et une foule d'autres institutions utiles qui ne devaient laisser sans soulagement à peu près aucun genre de misère. Il est sans doute un certain nombre d'hommes aujourd'hui qui, fidèles échos des païens d'autrefois, en viennent jusqu'à se faire même, d'une charité aussi merveilleuse, une arme pour attaquer l'Eglise. On a vu une bienfaisance établie par les lois civiles se substituer à la charité chrétienne. Mais cette charité chrétienne, qui se voue tout entière et sans arrière-pensée à l'utilité du prochain, ne peut être suppléée par aucune organisation humaine. L'Église seule possède cette vertu, parce qu'on ne la puise que dans le Coeur sacré de Jésus-Christ, et que c'est errer loin de Jésus-Christ que d'être éloigné de son Eglise.

Toutefois, pour obtenir le résultat voulu, il faut sans aucun doute recourir de plus aux moyens humains. Tous ceux que la question regarde doivent donc viser au même but et travailler de concert, chacun dans sa sphère. Il y a là comme une image de la Providence gouvernant le monde ; car nous voyons d'ordinaire que les faits et les événements qui dépendent de causes diverses sont la résultante de leur action commune.

Or, que sommes-nous en droit d'attendre de l'Etat pour remédier à la situation ? Disons d'abord que, par Etat, Nous entendons ici, non point tel gouvernement établi chez tel peuple en particulier, mais tout gouvernement qui répond aux préceptes de la raison naturelle et des enseignements divins, enseignements que Nous avons exposés Nous-même, spécialement dans Notre lettre encyclique sur la constitution chrétienne des sociétés (31).

Les chefs d'État doivent d'abord apporter un concours d'ordre général par tout l'ensemble des lois et des institutions. Nous voulons dire qu'ils doivent agir en sorte que la constitution et l'administration de la société fassent fleurir naturellement la prospérité, tant publique que privée.

Tel est, en effet, l'office de la prudence civile et le devoir propre de tous ceux qui gouvernera. Or, ce qui fait une nation prospère, c'est la probité des moeurs, l'ordre et la moralité comme bases de la famille, la pratique de la religion et le respect de la justice, c'est un taux modéré et une répartition équitable des impôts, le progrès de l'industrie et du commerce, une agriculture florissante et autres éléments du même genre, s'il en est que l'on ne peut développer sans augmenter d'autant le bien-être et le bonheur des citoyens.

De même donc que, par tous ces moyens, l'Etat peut se rendre utile aux autres classes, de même il peut grandement améliorer le sort de la classe ouvrière. Il le fera dans toute la rigueur de son droit et sans avoir à redouter le reproche d'ingérence; car en vertu même de son office, l'Etat doit servir l'intérêt commun. Il est évident que plus se multiplieront les avantages résultant de cette action d'ordre général, et moins on aura besoin de recourir à d'autres expédients pour remédier à la condition des travailleurs.

Mais voici une autre considération qui atteint plus profondément encore Notre sujet. La raison d'être de toute société est une et commune à tous ses membres, grands et petits. Les pauvres au même titre que les riches sont, de par le droit naturel, des citoyens, c'est-à-dire du nombre des parties vivantes dont se compose, par l'intermédiaire des familles, le corps entier de la nation. A parler exactement, en toutes les cités, ils sont le grand nombre. Comme il serait déraisonnable de pourvoir à une classe de citoyens et de négliger l'autre, il est donc évident que l'autorité publique doit aussi prendre les mesures voulues pour sauvegarder la vie et les intérêts de la classe ouvrière. Si elle y manque, elle viole la stricte justice qui veut qu'on rende à chacun son dû. A ce sujet, saint Thomas dit fort sagement : " De même que la partie et le tout sont, en quelque manière, une même chose, ainsi ce qui appartient au tout est en quelque sorte à chaque partie. " (32)

C'est pourquoi, parmi les graves et nombreux devoirs des gouvernants qui veulent pourvoir comme il convient au bien public, celui qui domine tous les autres consiste à avoir soin également de toutes les classes de citoyens, en observant rigoureusement les lois de la justice dite distributive.

Tous les citoyens sans exception doivent apporter leur part à la masse des biens communs qui, du reste, par un retour naturel, se répartissent de nouveau entre les individus. Néanmoins, les apports respectifs ne peuvent être ni les mêmes, ni d'égale mesure. Quelles que soient les vicissitudes par lesquelles les formes de gouvernement sont appelées à passer, il y aura toujours entre les citoyens ces inégalités de conditions sans lesquelles une société ne peut ni exister, ni être conçue. A tout prix, il faut des hommes qui gouvernent, qui fassent des lois, qui rendent la justice, qui enfin de conseil ou d'autorité administrent les affaires de la paix et les choses de la guerre. A n'en pas douter, ces hommes doivent avoir la prééminence dans toute société et y tenir le premier rang, puisqu'ils travaillent directement au bien commun et d'une manière si excellente. Ceux au contraire qui s'appliquent aux choses de l'industrie ne peuvent concourir à ce bien commun, ni dans la même mesure, ni par les mêmes voies.

Eux aussi cependant, quoique d'une manière moins directe, servent grandement les intérêts de la société. Sans nul doute, le bien commun dont. l'acquisition doit avoir pour effet de perfectionner les hommes est principalement un bien moral. Mais, dans une société bien constituée, il doit se trouver encore une certaine abondance de biens extérieurs " dont l'usage est requis à l'exercice de la vertu " (33).

Or, tous ces biens, c'est le travail de l'ouvrier, travail des champs ou de l'usine, qui en est surtout la source féconde et nécessaire. Bien plus, dans cet ordre de choses, le travail a une telle fécondité et une telle efficacité, que l'on peut affamer sans crainte de se tromper que, seul, il donne aux nations la prospérité. L'équité demande donc que l'Etat se préoccupe des travailleurs. Il doit faire en sorte qu'ils reçoivent une part convenable des biens qu'ils procurent à la société, comme l'habitation et le vêtement, et qu'ils puissent vivre au prix de moins de peines et de privations. Ainsi, l'Etat doit favoriser tout ce qui, de près ou de loin, paraît de nature à améliorer leur sort. Cette sollicitude, bien loin de préjudicier à personne, tournera au contraire au profit de tous, car il importe souverainement à la nation que des hommes, qui sont pour elle le principe de biens aussi indispensables, ne se trouvent point de tous côtés aux prises avec la misère.

Il est dans l'ordre, avons-Nous dit, que ni l'individu, ni la famille ne soient absorbés par l'Etat. Il est juste que l'un et l'autre aient la faculté d'agir avec liberté, aussi longtemps que cela n'atteint pas le bien général et ne fait tort à personne. Cependant, aux gouvernants il appartient de prendre soin de la communauté et de ses parties; la communauté, parce que la nature en a confié la conservation au pouvoir souverain, de telle sorte que le salut public n'est pas seulement ici la loi suprême, mais la cause même et la raison d'être du pouvoir civil; les parties, parce que, de droit naturel, le gouvernement ne doit pas viser l'intérêt de ceux qui ont le pouvoir entre les mains, mais le bien de ceux qui leur sont soumis.

Tel est l'enseignement de la philosophie et de la foi chrétienne. D'ailleurs, toute autorité vient de Dieu et est une participation de son autorité suprême. Dès lors, ceux qui en sont les dépositaires doivent l'exercer à l'exemple de Dieu dont la paternelle sollicitude ne s'étend pas moins à chacune des créatures en particulier qu'à tout leur ensemble. Si donc les intérêts généraux ou l'intérêt d'une classe en particulier se trouvent lésés ou simplement menacés, et s'il est impossible d'y remédier ou d'y obvier autrement, il faut de toute nécessité recourir à l'autorité publique.

Or, il importe au salut public et privé que l'ordre et la paix règnent partout ; que toute l'économie de la vie familiale soit réglée d'après les commandements de Dieu et les principes de la loi naturelle; que la religion soit honorée et observée; que l'on voie fleurir les moeurs privées et publiques; que la justice soit religieusement gardée et que jamais une classe ne puisse opprimer l'autre impunément; qu'il croisse de robustes générations capables d'être le soutien et, s'il le faut, le rempart de la patrie. C'est pourquoi, s'il arrive que les ouvriers, abandonnant le travail ou le suspendant par les grèves, menacent la tranquillité publique; que les liens naturels de la famille se relâchent parmi les travailleurs ; qu'on foule aux pieds la religion des ouvriers en ne leur facilitant point l'accomplissement de leurs devoirs envers Dieu; que la promiscuité des sexes ou d'autres excitations au vice constituent, dans les usines, un péril pour la moralité; que les patrons écrasent les travailleurs sous le poids de fardeaux iniques ou déshonorent en eux la personne humaine par des conditions indignes et dégradantes; qu'ils attentent à leur santé par un travail excessif et hors de proportion avec leur âge et leur sexe; dans tous les cas, il faut absolument appliquer dans de certaines limites la force et l'autorité des lois. La raison qui motive l'intervention des lois en détermine les limites: c'est-à-dire que celles-ci ne doivent pas s'avancer ni rien entreprendre au delà de ce qui est nécessaire pour remédier aux maux et écarter les dangers.

Les droits doivent partout être religieusement respectés. L'Etat doit les protéger chez tous les citoyens en prévenant ou en vengeant leur violation. Toutefois, dans la protection des droits privés, il doit se préoccuper d'une manière spéciale des faibles et des indigents. La classe riche se fait comme un rempart de ses richesses et a moins besoin de la tutelle publique. La classe indigente, au contraire, sans richesses pour la mettre à couvert des injustices, compte surtout sur la protection de l'Etat. L'État doit donc entourer de soin et d'une sollicitude toute particulière les travailleurs qui appartiennent à la classe pauvre en général.

Mais il est bon de traiter à part certains points de la plus grande importance. En premier lieu, il faut que les lois publiques soient pour les propriétés privées une protection et une sauvegarde. Ce qui importe par-dessus tout, au milieu de tant de cupidités en effervescence, c'est de contenir les masses dans le devoir. Il est permis de tendre vers de meilleures destinées dans les limites de la justice. Mais enlever de force le bien d'autrui, envahir les propriétés étrangères sous prétexte d'une absurde égalité, sont choses que la justice condamne et que l'intérêt commun lui-même répudie. Assurément, les ouvriers qui veulent améliorer leur sort par un travail honnête et en dehors de toute injustice forment la très grande majorité. Mais on en compte beaucoup qui, imbus de fausses doctrines et ambitieux de nouveautés, mettent tout en oeuvre pour exciter des tumultes et entraîner les autres à la violence. L'autorité publique doit alors intervenir. Mettant un frein aux excitations des meneurs, elle protégera les moeurs des ouvriers contre les artifices de la corruption et les légitimes propriétés contre le péril de la rapine.

Il n'est pas rare qu'un travail trop prolongé ou trop pénible, et un salaire jugé trop faible, donnent lieu à ces chômages voulus et concertés qu'on appelle des grèves. A cette maladie si commune et en même temps si dangereuse, il appartient au pouvoir public de porter un remède. Ces chômages en effet, non seulement tournent au détriment des patrons et des ouvriers eux-mêmes, mais ils entravent le commerce et nuisent aux intérêts généraux de la société. Comme ils dégénèrent facilement en violences et en tumultes, la tranquillité publique s'en trouve souvent compromise.

Mais ici il est plus efficace et plus salutaire que l'autorité des lois prévienne le mal et l'empêche de se produire, en écartant avec sagesse les causes qui paraissent de nature à exciter des conflits entre ouvriers et patrons.

Chez l'ouvrier pareillement, il est des intérêts nombreux qui réclament la protection de l'Etat. Vient en première ligne ce qui regarde le bien de son âme.

La vie du corps en effet, quelque précieuse et désirable qu'elle soit, n'est pas le but dernier de notre existence. Elle est une voie et un moyen pour arriver, par la connaissance du vrai et l'amour du bien, à la perfection de la vie de l'âme.

C'est l'âme qui porte gravée en elle-même l'image et la ressemblance de Dieu. C'est en elle que réside cette souveraineté dont l'homme fut investi quand il reçut l'ordre de s'assujettir la nature inférieure et de mettre à son service les terres et les mers. "Remplissez la terre et l'assujettissez ; dominez sur les poissons de la mer et sur les oiseaux du ciel et sur les animaux qui se meuvent sur la terre" (34).

A ce point de vue, tous les hommes sont égaux ; point de différences entre riches et pauvres, maîtres et serviteurs, princes et sujets : Ils n'ont tous qu'un même Seigneur (35). Il n'est permis à personne de violer impunément cette dignité de l'homme que Dieu lui-même traite avec un grand respect, ni d'entraver la marche de l'homme vers cette perfection qui correspond à la vie éternelle et céleste. Bien plus, il n'est même pas loisible à l'homme, sous ce rapport, de déroger spontanément à la dignité de sa nature, ou de vouloir l'asservissement de son âme. Il ne s'agit pas en effet de droit dont il ait la libre disposition, mais de devoirs envers Dieu qu'il doit religieusement remplir.

C'est de là que découle la nécessité du repos et de la cessation du travail aux jours du Seigneur. Le repos d'ailleurs ne doit pas être entendu comme une plus large part faite à une stérile oisiveté, ou encore moins, suivant le désir d'un grand nombre, comme un chômage fauteur des vices et dissipateur des salaires, mais bien comme un repos sanctifié par la religion. Ainsi allié avec la religion, le repos retire l'homme des labeurs et des soucis de la vie quotidienne. Il l'élève aux grandes pensées du ciel et l'invite à rendre à son Dieu le tribut d'adoration qu'il lui doit. Tel est surtout le caractère et la raison de ce repos du septième jour dont Dieu avait fait même déjà dans l'Ancien Testament un des principaux articles de la loi : "Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat" (36), et dont il avait lui-même donné l'exemple par ce mystérieux repos pris aussitôt après qu'il eût créé l'homme: "Il se reposa le septième jour de tout le travail qu'il avait fait" (37).

Pour ce qui est des intérêts physiques et corporels, l'autorité publique doit tout d'abord les sauvegarder en arrachant les malheureux ouvriers des mains de ces spéculateurs qui, ne faisant point de différence entre un homme et une machine, abusent sans mesure de leurs personnes pour satisfaire d'insatiables cupidités. Exiger une somme de travail qui, en émoussant toutes les facultés de l'âme, écrase le corps et en consume les forces jusqu'à épuisement, c'est une conduite que ne peuvent tolérer ni la justice ni l'humanité. L'activité de l'homme, bornée comme sa nature, a des limites qu'elle ne peut franchir. Elle s'accroît sans doute par l'exercice et l'habitude, mais à condition qu'on lui donne des relâches et des intervalles de repos. Ainsi, le nombre d'heures d'une journée de travail ne doit pas excéder la mesure des forces des travailleurs, et les intervalles de repos doivent être proportionnés à la nature du travail et à la santé de l'ouvrier, et réglés d'après les circonstances des temps et des lieux. L'ouvrier qui arrache à la terre ce qu'elle a de plus caché, la pierre, le fer et l'airain, a un labeur dont la brièveté devra compenser la fatigue, ainsi que le dommage qu'il cause à la santé. Il est juste, en outre, qu'on considère les époques de l'année. Tel travail sera souvent aisé dans une saison, et deviendra intolérable ou très pénible dans une autre.

Enfin, ce que peut réaliser un homme valide et dans la force de l'âge ne peut être équitablement demandé à une femme ou à un enfant. L'enfant en particulier - et ceci demande à être observé strictement - ne doit entrer à l'usine qu'après que l'âge aura suffisamment développé en lui les forces physiques, intellectuelles et morales. Sinon, comme une herbe encore tendre, il se verra flétri par un travail trop précoce et c'en sera fait de son éducation. De même, il est des travaux moins adaptés à la femme que la nature destine plutôt aux ouvrages domestiques; ouvrages d'ailleurs qui sauvegardent admirablement l'honneur de son sexe et répondent mieux, par nature, à ce que demandent la bonne éducation des enfants et la prospérité de la famille.

En général, la durée du repos doit se mesurer d'après la dépense des forces qu'il doit restaurer. Le droit au repos de chaque jour ainsi que la cessation du travail le jour du Seigneur doivent être la condition expresse ou tacite de tout contrat passé entre patrons et ouvriers. Là où cette condition n'entrerait pas, le contrat ne serait pas honnête, car nul ne peut exiger ou permettre la violation des devoirs de l'homme envers Dieu et envers lui-même.

Nous passons à présent à un autre point de la question, d'une très grande importance, qui, pour éviter toute exagération, demande à être défini avec justesse. Nous voulons parler de la fixation du salaire.

On prétend que le salaire, une fois librement consenti de part et d'autre, le patron en le payant remplit tous ses engagements et n'est plus tenu à rien. La justice se trouverait seulement lésée, si le patron refusait de tout solder, ou si l'ouvrier refusait d'achever tout son travail et de satisfaire à ses engagements. Dans ces cas, à l'exclusion de tout autre, le pouvoir public aurait à intervenir pour protéger le droit de chacun.

Pareil raisonnement ne trouvera pas de juge équitable qui consente à y adhérer sans réserve. Il n'envisage pas tous les côtés de la question et il en omet un, fort sérieux. Travailler, c'est exercer son activité dans le but de se procurer ce qui est requis pour les divers besoins de la vie, mais surtout pour l'entretien de la vie elle-même. "Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front" (38). C'est pourquoi le travail a reçu de la nature comme une double empreinte. Il est personnel parce que la force active est inhérente à la personne et qu'elle est la propriété de celui qui l'exerce et qui l'a reçue pour son utilité. Il est nécessaire parce que l'homme a besoin du fruit de son travail pour conserver son existence, et qu'il doit la conserver pour obéir aux ordres irréfragables de la nature. Or, si l'on ne regarde le travail que par le côté où il est personnel, nul doute qu'il ne soit au pouvoir de l'ouvrier de restreindre à son gré le taux du salaire. La même volonté qui donne le travail peut se contenter d'une faible rémunération ou même n'en exiger aucune. Mais il en va tout autrement si, au caractère de personnalité, on joint celui de nécessité dont la pensée peut bien faire abstraction, mais qui n'en est pas séparable en réalité. En effet, conserver l'existence est un devoir imposé à tous les hommes et auquel ils ne peuvent se soustraire sans crime. De ce devoir découle nécessairement le droit de se procurer les choses nécessaires à la subsistance que le pauvre ne se procure que moyennant le salaire de son travail.

Que le patron et l'ouvrier fassent donc tant et de telles conventions qu'il leur plaira, qu'ils tombent d'accord notamment sur le chiffre du salaire. Au-dessus de leur libre volonté, il est une loi de justice naturelle plus élevée et plus ancienne, à savoir que le salaire ne doit pas être insuffisant à faire subsister l'ouvrier sobre et honnête. Si, contraint par la nécessité ou poussé par la crainte d'un mal plus grand, l'ouvrier accepte des conditions dures, que d'ailleurs il ne peut refuser parce qu'elles lui sont imposées par le patron ou par celui qui fait l'offre du travail, il subit une violence contre laquelle la justice proteste.

Mais dans ces cas et autres analogues, comme en ce qui concerne la journée de travail et les soins de la santé des ouvriers dans les usines, les pouvoirs publics pourraient intervenir inopportunément, vu surtout la variété des circonstances des temps et des lieux. Il sera donc préférable d'en réserver en principe la solution aux corporations ou syndicats dont Nous parlerons plus loin, ou de recourir à quelque autre moyen de sauvegarder les intérêts des ouvriers et d'en appeler même, en cas de besoin, à la protection et à l'appui de l'Etat.

L'ouvrier qui percevra un salaire assez fort pour parer aisément à ses besoins et à ceux de sa famille s'appliquera, s'il est sage, à être économe. Suivant le conseil que semble lui donner la nature elle-même, il visera par de prudentes épargnes à se ménager un petit superflu qui lui permette de parvenir un jour à l'acquisition d'un modeste patrimoine. Nous avons vu, en effet, que la question présente ne pouvait recevoir de solution vraiment efficace si l'on ne commençait par poser comme principe fondamental l'inviolabilité de la propriété privée. Il importe donc que les lois favorisent l'esprit de propriété, le réveillent et le développent autant qu'il est possible dans les masses populaires.

Ce résultat une fois obtenu serait la source des plus précieux avantages. Et d'abord, la répartition des biens serait certainement plus équitable. La violence des bouleversements sociaux a divisé le corps social en deux classes et a creusé entre elles un immense abîme. D'une part, une faction toute-puissante par sa richesse. Maîtresse absolue de l'industrie et du commerce, elle détourne le cours des richesses et en fait affluer vers elle toutes les sources. Elle tient d'ailleurs en sa main plus d'un ressort de l'administration publique. De l'autre, une multitude indigente et faible, l'âme ulcérée, toujours prête au désordre. Eh bien, si l'on stimule l'industrieuse activité du peuple par la perspective d'une participation à la propriété du sol, l'on verra se combler peu à peu l'abîme qui sépare l'opulence de la misère et s'opérer le rapprochement des deux classes.

En outre, la terre produira toute chose en plus grande abondance. Car l'homme est ainsi fait que la pensée de travailler sur un fonds qui est à lui redouble son ardeur et son application. Il en vient même jusqu'à mettre tout son coeur dans une terre qu'il a cultivée lui-même, qui lui promet, à lui et aux siens, non seulement le strict nécessaire, mais encore une certaine aisance. Tous voient sans peine les heureux effets de ce redoublement d'activité sur la fécondité de la terre et sur la richesse des nations.

Un troisième avantage sera l'arrêt dans le mouvement d'émigration. Personne, en effet, ne consentirait à échanger contre une région étrangère sa patrie et sa terre natale, s'il y trouvait les moyens de mener une vie plus tolérable.

Mais il y a une condition indispensable pour que tous ces avantages deviennent des réalités. Il ne faut pas que la propriété privée soit épuisée par un excès de charges et d'impôts. Ce n'est pas des lois humaines, mais de la nature qu'émane le droit de propriété individuelle. L'autorité publique ne peut donc l'abolir. Elle peut seulement en tempérer l'usage et le concilier avec le bien commun. Elle agit donc contre la justice et l'humanité quand, sous le nom d'impôts, elle grève outre mesure les biens des particuliers.

En dernier lieu, les patrons et les ouvriers eux-mêmes peuvent singulièrement aider à la solution de la question par toutes les oeuvres propres à soulager efficacement l'indigence et à opérer un rapprochement entre les deux classes.

De ce nombre sont les sociétés de secours mutuels ; les institutions diverses dues à l'initiative privée qui ont pour but de secourir les ouvriers, ainsi que leurs veuves et leurs orphelins, en cas de mort, d'accidents ou d'infirmités ; les patronages qui exercent une protection bienfaisante sur les enfants des deux sexes, sur les adolescents et sur les hommes faits.

Mais la première place appartient aux corporations ouvrières qui, en soi, embrassent à peu près toutes les oeuvres. Nos ancêtres éprouvèrent longtemps la bienfaisante influence de ces corporations. Elles ont d'abord assuré aux ouvriers des avantages manifestes. De plus, ainsi qu'une foule de monuments le proclament, elles ont été une source de gloire et de progrès pour les arts eux-mêmes. Aujourd'hui, les générations sont plus cultivées, les moeurs plus policées, les exigences de la vie quotidienne plus nombreuses. Il n'est donc pas douteux qu'il faille adapter les corporations à ces conditions nouvelles. Aussi, Nous voyons avec plaisir se former partout des sociétés de ce genre, soit composées des seuls ouvriers, soit mixtes, réunissant à la fois des ouvriers et des patrons. Il est à désirer qu'elles accroissent leur nombre et l'efficacité de leur action.

Bien que Nous Nous en soyons occupé plus d'une fois, Nous voulons exposer ici leur opportunité et leur droit à l'existence, et indiquer comment elles doivent s'organiser et quel doit être leur programme d'action.

L'expérience que fait l'homme de l'exiguïté de ses forces l'engage et le pousse à s'adjoindre une coopération étrangère. C'est dans les Saintes Ecritures qu'on lit cette maxime : "Mieux vaut vivre à deux que solitaire; il y a pour les deux un bon salaire dans leur travail; car s'ils tombent, l'un peut relever son compagnon. Malheur à celui qui est seul et qui tombe sans avoir un second pour le relever !" (39) Et cet autre : "Le frère qui est aidé par son frère est comme une ville forte" (40) De cette tendance naturelle, comme d'un même germe, naissent la société civile d'abord, puis au sein même de celle-ci, d'autres sociétés qui, pour être restreintes et imparfaites, n'en sont pas moins des sociétés véritables.

Entre ces petites sociétés et la grande, il y a de profondes différences qui résultent de leur fin prochaine. La fin de la société civile embrasse universellement tous les citoyens. Elle réside dans le bien commun, c'est-à-dire dans un bien auquel tous et chacun ont le droit de participer dans une mesure proportionnelle. C'est pourquoi on l'appelle publique, parce qu'elle réunit les hommes pour en former une nation. (41) Au contraire, les sociétés qui se constituent dans son sein sont tenues pour privées. Elles le sont, en effet, car leur raison d'être immédiate est l'utilité particulière exclusive de leurs membres.

La société privée est celle qui se forme dans un but privé, comme lorsque deux ou trois s'associent pour exercer ensemble le négoce. (42)

Les sociétés privées n'ont d'existence qu'au sein de la société civile dont elles sont comme autant de parties. Il ne s'ensuit pas cependant, à ne parler qu'en général et à ne considérer que leur nature, qu'il soit au pouvoir de l'Etat de leur dénier l'existence. Le droit à l'existence leur a été octroyé par la nature elle-même, et la société civile a été instituée pour protéger le droit naturel, non pour l'anéantir. C'est pourquoi une société civile qui interdirait les sociétés privées s'attaquerait elle-même, puisque toutes les sociétés, publiques et privées, firent leur origine d'un même principe: la naturelle sociabilité de l'homme.

Assurément, il y a des cas qui autorisent les lois à s'opposer à la formation de sociétés de ce genre. Si une société, en vertu même de ses statuts, poursuivait une fin en opposition flagrante avec la probité, avec la justice, avec la sécurité de l'Etat, les pouvoirs publics auraient le droit d'en empêcher la formation et, si elle était formée, de la dissoudre. Mais encore faut-il qu'en tout cela ils n'agissent qu'avec une très grande circonspection.

Il faut éviter d'empiéter sur les droits des citoyens et de prendre, sous couleur d'utilité publique, une décision qui serait désavouée par la raison. Car une loi ne mérite obéissance qu'autant qu'elle est conforme à la droite raison et, ainsi, à la loi éternelle de Dieu (43).

Ici se présentent à Notre esprit les confréries, les congrégations et les ordres religieux de tout genre, auxquels l'autorité de l'Eglise et la piété des fidèles avaient donné naissance. L'histoire jusqu'à notre époque nous dit assez quels en furent les fruits de salut pour le genre humain. Considérées simplement par la raison, ces sociétés apparaissent comme fondées dans un but honnête et, conséquemment, comme établies sur le droit naturel. Du côté où elles touchent à la religion, elles ne relèvent que de l'Eglise. Les pouvoirs publics ne peuvent donc légitimement prétendre à aucun droit sur elles, ni s'en attribuer l'administration. Leur devoir est plutôt de les respecter, de les protéger et, s'il en est besoin, de les défendre.

Or, c'est justement tout l'opposé que Nous avons vu, surtout en ces derniers temps. Dans beaucoup de pays, l'Etat a porté la main sur ces sociétés et a accumulé à leur égard les injustices: assujettissement aux lois civiles, privation du droit légitime de personnalité morale, spoliation des biens. Sur ces biens, l'Eglise avait pourtant ses droits ; chacun des membres avait les siens; les donateurs qui leur avaient fixé une destination, ceux enfin qui en retiraient des secours et du soulagement avaient les leurs. Aussi ne pouvons-Nous Nous empêcher de déplorer amèrement des spoliations si iniques et si funestes; d'autant plus qu'on frappe de proscription les sociétés catholiques dans le temps même où l'on affirme la légalité des sociétés privées, et que ce que l'on refuse à des hommes paisibles et préoccupés seulement de l'intérêt public, on l'accorde, et certes très largement, à des hommes qui agitent dans leur esprit des desseins funestes tout à la fois à la religion et à l'Etat.

Jamais assurément à aucune époque, on ne vit une si grande multiplicité d'associations de tout genre, surtout d'associations ouvrières. Ce n'est pas le lieu de chercher ici d'où viennent beaucoup d'entre elles, quel est leur but et comment elles y tendent. Mais c'est une opinion confirmée par de nombreux indices qu'elles sont ordinairement gouvernées par des chefs occultes et qu'elles obéissent à un mot d'ordre également hostile au nom chrétien et à la sécurité des nations; qu'après avoir accaparé toutes les entreprises, s'il se trouve des ouvriers qui se refusent à entrer dans leur sein, elles leur font expier ce refus par la misère. Dans cet état de choses, les ouvriers chrétiens n'ont plus qu'à choisir entre ces deux partis' ou de donner leur nom à des sociétés dont la religion a tout à craindre, ou de s'organiser eux-mêmes et de joindre leurs forces pour pouvoir secouer hardiment un joug si injuste et à intolérable. Y a-t-il des hommes ayant vraiment à coeur d'arracher le souverain bien de l'humanité à un péril imminent qui puissent douter qu'il faille opter pour ce dernier parti ?

Aussi, il faut louer hautement le zèle d'un grand nombre des nôtres qui, se rendant parfaitement compte des besoins de l'heure présente, sondent soigneusement le terrain pour y découvrir une voie honnête qui conduise au relèvement de la classe ouvrière. S'étant constitués les protecteurs des personnes vouées au travail, ils s'étudient à accroître leur prospérité, tant familiale qu'individuelle, à régler avec équité les relations réciproques des patrons et des ouvriers, à. entretenir et à affermir dans les uns et les autres le souvenir de leurs devoirs et l'observation des préceptes évangéliques; préceptes qui, en ramenant l'homme à la modération et condamnant tous les excès, maintiennent dans les nations et parmi les éléments si divers de personnes et de choses la concorde et l'harmonie la plus parfaite. Sous l'inspiration des mêmes pensées, des hommes de grand mérite se réunissent fréquemment en congrès pour se communiquer leurs vues, unir leurs forces, arrêter des programmes d'action.

D'autres s'occupent de fonder des corporations assorties aux divers métiers et d'y faire entrer les ouvriers; ils aident ces derniers de leurs conseils et de leur fortune et pourvoient à ce qu'ils ne manquent jamais d'un travail honnête et fructueux.

Les évêques, de leur côté, encouragent ces efforts et les mettent sous leur haut patronage. Par leur autorité et sous leurs auspices, des membres du clergé tant séculier que régulier se dévouent en grand nombre aux intérêts spirituels des associés.

Enfin, il ne manque pas de catholiques qui, pourvus d'abondantes richesses, mais devenus en quelque sorte compagnons volontaires des travailleurs, ne regardent à aucune dépense pour fonder et étendre au loin des sociétés où ceux-ci peuvent trouver, avec une certaine aisance pour le présent, le gage d'un repos honorable pour l'avenir.

Des efforts, si variés et si empressés ont déjà réalisé parmi les peuples un bien très considérable et trop connu pour qu'il soit nécessaire d'en parler en détail. Il est à Nos yeux d'un heureux augure pour l'avenir. Nous Nous promettons de ces corporations les plus heureux fruits, pourvu qu'elles continuent à se développer et que la prudence préside toujours à leur organisation. Que l'Etat protège ces sociétés fondées selon le droit ; que toutefois il ne s'immisce point dans leur gouvernement intérieur et ne touche point aux ressorts intimes qui leur donnent la vie; car le mouvement vital procède essentiellement d'un principe intérieur et s'éteint très facilement sous l'action d'une cause externe.

A ces corporations, il faut évidemment, pour qu'il y ait unité d'action et accord des volontés, une organisation et une discipline sage et prudente. Si donc, comme il est certain, les citoyens sont libres de s'associer, ils doivent l'être également de se donner les statuts et règlements qui leur paraissent les plus appropriés au but qu'ils poursuivent. Nous ne croyons pas qu'on puisse donner de règles certaines et précises pour déterminer le détail de ces statuts et règlements. Tout dépend du génie de chaque nation, des essais tentés et de l'expérience acquise, du genre de travail, de l'extension du commerce, et d'autres circonstances de choses et de temps qu'il faut peser avec maturité.

Tout ce qu'on peut dire en général, c'est qu'on doit prendre pour règle universelle et constante d'organiser et de gouverner les corporations, de façon qu'elles fournissent à chacun de leurs membres les moyens propres à lui faire atteindre, par la voie la plus commode et la plus courte, le but qu'il se propose. Ce but consiste dans l'accroissement le plus grand possible, pour chacun, des biens du corps, de l'esprit et de la fortune.

Mais il est évident qu'il faut viser avant tout à l'objet principal qui est le perfectionnement moral et religieux. C'est surtout cette fin qui doit régler l'économie sociale. Autrement, ces sociétés dégénéreraient bien vite et tomberaient, ou peu s'en faut, au rang des sociétés où la religion ne tient aucune place. Aussi bien, que servirait à l'ouvrier d'avoir trouvé au sein de la corporation l'abondance matérielle, si la disette d'aliments spirituels mettait en péril le salut de son âme ? "Que sert à l'homme de gagner l'univers entier, s'il vient à perdre son âme ?" (44) Voici le caractère auquel Notre Seigneur Jésus-Christ veut qu'on distingue le chrétien d'avec le païen. "Les païens recherchent toutes ces choses... cherchez d'abord le royaume de Dieu, et toutes ces choses vous seront ajoutées par surcroît". (45)

Ainsi donc, après avoir pris Dieu comme point de départ, qu'on donne une large place à l'instruction religieuse, afin que tous connaissent leurs devoirs envers lui. Ce qu'il faut croire, ce qu'il faut espérer, ce qu'il faut faire en vue du salut éternel, tout cela doit leur être soigneusement inculqué. Qu'on les prémunisse avec une sollicitude particulière contre les opinions erronées et toutes les variétés du vice. Qu'on porte l'ouvrier au culte de Dieu, qu'on excite en lui l'esprit de piété, qu'on le rende surtout fidèle à l'observation des dimanches et des jours de fête. Qu'il apprenne à respecter et à aimer l'Eglise, la commune Mère de tous les chrétiens; à obéir à ses préceptes, à fréquenter ses sacrements qui sont des sources divines où l'âme se purifie de ses taches et puise la sainteté.

La religion ainsi constituée comme fondement de toutes les lois sociales, il n'est pas difficile de déterminer les relations mutuelles à établir entre les membres pour obtenir la paix et la prospérité de la société.

Les diverses fonctions doivent être réparties de la manière la plus favorable aux intérêts communs et de telle sorte que l'inégalité ne nuise point à la concorde. Il importe grandement que les charges soient distribuées avec intelligence et clairement définies, afin que personne n'ait à souffrir d'injustice. Que la masse commune soit administrée avec intégrité et qu'on détermine d'avance, par le degré d'indigence de chacun des membres, la mesure de secours à lui accorder.

Que les droits et les devoirs des patrons soient parfaitement conciliés avec les droits et les devoirs des ouvriers.

Pour le cas où l'une ou l'autre classe se croirait lésée en quelque façon, il serait très désirable que les statuts mêmes chargeassent des hommes prudents et intègres, tirés de son sein, de régler le litige en qualité d'arbitres.

Il faut encore pourvoir d'une manière toute spéciale à ce qu'en aucun temps l'ouvrier ne manque de travail, et qu'il y ait un fonds de réserve destiné à faire face, non seulement aux accidents soudains et fortuits inséparables du travail industriel, mais encore à la maladie, à la vieillesse et aux coups de la mauvaise fortune.

Ces lois, pourvu qu'elles soient acceptées de bon coeur, suffisent pour assurer aux faibles la subsistance et un certain bien-être. Mais les corporations des catholiques sont appelées encore à apporter leur bonne part à la prospérité générale. Par le passé, nous pouvons juger sans témérité de l'avenir. Un âge fait place à un autre, mais le cours des choses présente de merveilleuses similitudes ménagées par cette Providence qui règle et dirige tout vers la fin que Dieu s'est proposée en créant l'humanité.

Nous savons que, dans les premiers âges de l'Eglise, on lui faisait un crime de l'indigence de ses membres condamnés à vivre d'aumônes ou de travail. Mais dénués comme ils étaient de richesses et de puissance, ils surent se concilier la faveur des riches et la protection des puissants. On pouvait les voir, diligents, laborieux, pacifiques, modèles de justice et surtout de charité. Au spectacle d'une vie si parfaite et de moeurs si pures, tous les préjugés se dissipèrent, le sarcasme malveillant se tut, et les fictions d'une superstition invétérée s'évanouirent peu à peu devant la vérité chrétienne.

La question qui s'agite aujourd'hui est le sort de la classe ouvrière: elle sera résolue par la raison ou sans elle. La solution prise est de la plus grande importance pour les nations. Or, les ouvriers chrétiens la résoudront facilement par la raison si, unis en sociétés et conduits par une direction prudente, ils entrent dans la voie où leurs pères et leurs ancêtres trouvèrent leur salut et celui des peuples. Quelle que soit, dans les hommes, la force des préjugés et des passions, si une volonté perverse n'a pas entièrement étouffé le sentiment du juste et de l'honnête, il faudra que tôt ou tard la bienveillance publique se tourne vers ces ouvriers qu'on aura vus actifs et modestes, mettant l'équité avant le gain et préférant à tout la religion du devoir.

Il résultera de là cet autre avantage, que l'espoir et la possibilité d'une vie saine et normale seront abondamment offerts aux ouvriers qui vivent dans le mépris de la foi chrétienne ou dans les habitudes qu'elle réprouve. Ils comprennent d'ordinaire qu'ils ont été le jouet d'espérances trompeuses et d'apparences mensongères. Ils sentent, par les traitements inhumains qu'ils reçoivent de leurs maîtres, qu'ils ne sont guère estimés qu'au poids de l'or produit par leur travail. Quant aux sociétés qui les ont circonvenus, ils voient bien qu'à la place de la charité et de l'amour, ils n'y trouvent que les discordes intestines, ces compagnes inséparables de la pauvreté insolente et incrédule. L'âme brisée, le corps exténué, combien qui voudraient secouer un joug si humiliant ! Mais soit respect humain, soit crainte de l'indigence, ils ne l'osent pas. Eh bien, à tous ces ouvriers, les corporations des catholiques peuvent être d'une merveilleuse utilité, si, hésitants, elles les invitent à venir chercher dans leur sein un remède à tous leurs maux, si, repentants, elles les accueillent avec empressement et leur assurent sauvegarde et protection.

Vous voyez, Vénérables Frères, par qui et par quels moyens cette question si difficile demande à être traitée et résolue. Que chacun se mette sans délai à la part qui lui incombe, de peur qu'en différant le remède, on ne rende incurable un mal déjà si grave. Que les gouvernants utilisent l'autorité protectrice des lois et des institutions; que les riches et les patrons se rappellent leurs devoirs; que les ouvriers dont le sort est en jeu poursuivent leurs intérêts par des voies légitimes. Puisque la religion seule, comme Nous l'avons dit dès le début, est capable de détruire le mal dans sa racine, que tous se rappellent que la première condition à réaliser, c'est la restauration des moeurs chrétiennes. Sans elles, même les moyens suggérés par la prudence humaine comme les plus efficaces seront peu propres à produire de salutaires résultats.

Quant à l'Eglise, son action ne fera jamais défaut en aucune manière et sera d'autant plus féconde qu'elle aura pu se développer avec plus de liberté. Nous désirons que ceci soit compris surtout par ceux dont la mission est de veiller au bien public. Que les ministres sacrés déploient toutes les forces de leur âme et toutes les industries de leur zèle, et que, sous l'autorité de vos paroles et de vos exemples, Vénérables Frères, ils ne cessent d'inculquer aux hommes de toutes les classes les règles évangéliques de la vie chrétienne; qu'ils travaillent de tout leur pouvoir au salut des peuples, et par-dessus tout qu'ils s'appliquent à nourrir en eux-mêmes et à faire naître dans les autres, depuis les plus élevés jusqu'aux plus humbles, la charité reine et maîtresse de toutes les vertus.

C'est en effet d'une abondante effusion de charité qu'il faut principalement attendre le salut. Nous parlons de la charité chrétienne qui résume tout l'Evangile et qui, toujours prête à se dévouer au soulagement du prochain, est un remède très assuré contre l'arrogance du siècle et l'amour immodéré de soi-même. C'est la vertu dont l'apôtre saint Paul a décrit la fonction et le caractère divin dans ces paroles : "La charité est patiente; elle est bonne; elle ne cherche pas ses propres intérêts; elle souffre tout; elle supporte tout" (46).

Comme gage des faveurs divines et en témoignage de Notre bienveillance, Nous vous accordons de tout coeur, à chacun de vous, Vénérables Frères, à votre clergé et à vos fidèles, la bénédiction apostolique dans le Seigneur.

Donné à Rome, près Saint-Pierre, le 15 mai 1891, l'an XIV de Notre Pontificat.

LÉON XIII


NOTES

1. A.S.S. XXIII (1890-1891), pp. 641-670. Trad. française dans Actes de Léon XIII, B.P., t. III, pp. 18-71.

2. Léon XIII, Lettre encyclique Diuturnum illud, 29 juin 1881, AAS XIV (1881-1882), pp. 3-14, CH pp. 448-463.

3. Léon XIII Lettre encyclique Libertas praestantissimum, 20 juin 1888, AAS XX (1888), pp. 593-613, CH pp. 37-65.

4. Léon XIII, Lettre encyclique lmmortale Dei, 1er novembre 1885, AAS XVIII (1885), pp. 161-180, CH pp. 465-489.

5. Deutéronome, v. 21.

6. Genèse 1, 28

7. Saint Thomas, Sum. Theol. II-II q. 10 a. 12.

8. Genèse 3, 17.

9. Saint Jacques, v. 4.

10. Saint Paul, 2 Tim. 2, 12.

11. Saint Paul, 2 Cor 4, 17.

12. Cf. saint Matthieu, 19, 25-24.

13. Cf. saint Luc, 6,24-25.

14. Saint Thomas, Sum. theol., II-II, q.66 a.2

15. Saint Paul, 1 Tim 6,18.

16. Saint Thomas, Sum. theol., II-II, q.65 a.2.

17. Saint Thomas, Sum. theol., II-II, q.32 a.6.

18. saint Luc, 11,41.

19. Actes, 20,35.

20. Saint Matthieu, 25,40.

21. Saint Grégoire le Grand, In Evang., lib. I, hom. 9, n.7, PL LXXVI 1109.

22. Saint Paul, 2 Cor 8,9.

23. Saint Marc 6,3.

24. Cf. saint Matthieu 5,5.

25. Cf. saint Matthieu 11,28.

26. Saint Paul, Rom. 8,29.

27. Saint Paul, Rom. 8,17.

28. Cf. saint Paul, 1 Tim 6,10.

29. Actes 4,34.

30. Tertullien, Apologeticum, II, 39, PL I 467.

31. Léon XIII, Lettre encyclique Immortale Dei, 1er novembre 1885, AAS XVIII (1885), pp. 161-180, CH pp. 465- 489.

32. Saint Thomas, Sum. theol., II-II q.61 a.1 ad 2.

33. Saint Thomas, De regimine principum I,15.

34. Genèse 1,28.

35. Saint Paul, Rom. 10,12.

36. Exode 20,8.

37. Genèse 2,2.

38. Genèse 3,19.

39. Ecclésiaste 4, 9-12.

40. Proverbes 18,19.

41. Saint Thomas, Contra impugnantes Dei cultum et religionem, 2.

42. Saint Thomas, ibidem.

43. Cf. saint Thomas, Sum. theol. I-II q. 13 a.3.

44. Saint Matthieu 16, 26.

45. Saint Matthieu 6, 32-33.

46. Saint Paul, 1 Cor. 13, 4-7.