1868-1952
Charles Maurras
Maurras, Fils de la Mer selon l’expression de René Benjamin, est né en 1868 à Martigues, en Provence. Cette précision n’est pas anecdotique car Maurras fut tout autre chose qu’un doctrinaire sans âme, un théoricien froid. Ce sont l’amour de la patrie (“la terre des pères”) et le souci de la nation qui l’ont conduit à la monarchie. Ce n’est pas un choix fait dans l’abstrait, c’est la conséquence d’un constat.
Maurras connut, lui aussi, dans les premières années de sa vie parisienne, une période un peu bohème et anarchique. C’est sans doute le questionnement métaphysique et la passion de la poésie qui le sauvèrent d’une totale anarchie. Ce furent aussi, en 1888, les rencontres capitales de Maurice Barrès et de Frédéric Mistral.
Barrès et Mistral
Barrès montrait le nationalisme comme un attachement à la terre et aux morts. Lui, fils de la Lorraine en partie annexée par l’Allemagne, était animé de l’angor Patriae. Mistral menait un combat pacifique pour la langue et la culture provençales, c’était une résistance à la République niveleuse et centralisatrice à l’excès.
Nation et identité : à l’heure de l’Euroland, de la fin annoncée, par certains, de la France, on voit l’actualité de la pensée de Maurras. Le génie de Maurras, et sa différence d’avec Barrès, aura été de “conclure” à la monarchie. Il n’a jamais dit que la monarchie était le meilleur régime politique qui soit au monde, applicable dans tous les pays. Il a montré qu’il était celui qu’il fallait à la France, qu’une monarchie antiparlementaire et décentralisée était, pour elle, la forme achevée du nationalisme intégral.
La fondation de l’Action française, en 1899, avec Henri Vaugeois et Maurice Pujo, n’est pas le lancement d’un mouvement monarchiste (d’ailleurs, les deux hommes ne sont pas encore royalistes). C’est une réaction, en pleine Affaire Dreyfus, contre « l’abstraction des droits de l’homme » et l’individualisme et, aussi, contre les méfaits du parlementarisme.
Entre 1899 et 1902, Maurras s’efforça de démontrer à ses amis de l’Action française et aussi à un public plus large, les bienfaits de la monarchie. Ce furent, tour à tour une courte brochure : Dictateur et roi (1899) ; puis, en 1900, la fameuse Enquête sur la monarchie menée dans la Gazette de France ; et encore treize articles publiés dans Le Figaro entre 1901 et 1902 ; et enfin six articles publiés entre novembre 1902 et janvier 1903 dans La Libre Parole de Drumont.
Ces quatre “campagnes royalistes” montraient que « la monarchie est de salut public ». Au tournant du siècle, la France se trouve divisée et affaiblie par la République. Divisée par l’Affaire Dreyfus et les campagnes antimilitaristes menées par la gauche et les “humanitaires” ; divisée aussi par la politique anticléricale menée par le gouvernement ; affaiblie, enfin, par un régime d’assemblée où les élections remettent sans cesse en question la politique suivie et où les gouvernements sont à la merci des intrigues, des luttes et des manœuvres du Parlement et des partis.
Dans cette situation, la monarchie, explique Maurras, a une vertu unificatrice, pacificatrice et stabilisatrice. La monarchie apparaît comme « ce qui est désirable, ce qui est utile, ce qui est bon pour la renaissance, la durée et la prospérité de la France ».
La situation de la France au tournant des XIXe et XXe siècle ne rappelle-telle pas celle d’aujourd’hui, même si des problèmes nouveaux sont apparus ? Les démonstrations de Maurras n’ont rien perdu de leur actualité, au contraire. Ainsi sa réponse à ceux qui, parmi les “nationalistes plébiscitaires” (Déroulède, Thiébaud, Drumont), prônaient un renforcement du pouvoir exécutif par l’élection du Président de la République au suffrage universel : l’élection présidentielle, prédisait Maurras, va être confisquée par ceux qui ont « l’administration et la fortune mobilière, la bureaucratie et l’argent, des porte-plume et des porte-voix ».
Un engagement personnel
On ne racontera pas ici, tous les combats célèbres de l’Action française que conduisit Charles Maurras. Soulignons cependant qu’à plusieurs reprises, pour défendre le bien public, il n’hésita pas à s’engager personnellement et courageusement. Les deux affaires les plus célèbres sont la lettre à Schrameck, et l’affaire du “couteau de cuisine”. La première est une lettre adressée à Abraham Schrameck, ministre de l’Intérieur, le 9 juin 1925, après que, en moins de six mois, sept militants monarchistes ou appartenant à d’autres mouvements nationalistes eurent été assassinés par des adversaires politiques. Qui plus est, le ministre de l’Intérieur avait organisé le désarmement du service d’ordre de l’A.F. Maurras réagit par une lettre très violente où il affirmait notamment : « Monsieur Abraham Schrameck , comme vous vous préparez à livrer un grand peuple au couteau et aux balles de vos complices, voici les réponses promises. Nous répondons que nous vous tuerons comme un chien... » Maurras expliqua que la menace de mort aurait pour effet de rendre la police plus vigilante à assurer la sécurité des militants de l’A.F. et de ses dirigeants. C’est ce qui advint effectivement. Un procès fut intenté pour menace de mort conditionnelle. Finalement, après de multiples procès (un premier jugement fut annulé en Cour de cassation), Maurras fut condamné à mille francs d’amende et à un an de prison avec sursis.
L’autre affaire est à situer dans le contexte international. En 1935, Mussolini avait engagé la conquête de l’Éthiopie. La gauche appelait à des sanctions économiques immédiates contre l’Italie. Maurras redoutait que ces sanctions ne conduisent à une guerre et ne rejettent l’Italie dans le camp de l’Allemagne nazie (c’est ce qui advint). Dans plusieurs articles, il mit en cause les “assassins de la paix”. Après la victoire du Front populaire, en mai 1936, Maurras mit en cause « ce vieux chameau sémitique de Blum ». Il s’y félicitait d’un discours où le chef socialiste s’était déclaré opposé aux guerres de “propagande” et ajoutait : « le type a été dressé, parfaitement dressé, par nos soins : au fouet – en attendant le couteau de cuisine. ... Il ne faudra abattre physiquement M. Blum que le jour où sa politique nous aura amené la guerre impie qu’il rêve contre nos compagnons d’armes italiens. Ce jour-là, il est vrai, il ne faudra pas le manquer. » Cette nouvelle menace de mort conditionnelle vaudra à Maurras huit mois de prison, du 29 octobre 1936 au 6 juillet 1937.
Souvent aujourd’hui certains historiens rappellent ces pages violentes contre Léon Blum ou contre le ministre Abraham Schrameck pour stigmatiser son “antisémitisme” et sa “xénophobie”. On commet une grande erreur si l’on place Maurras parmi les racistes. La race n’a jamais été au fondement de son combat politique et de sa conception de la monarchie. Rappelons un article parmi d’autres : « Les races, rappelait Maurras le 19 juillet 1938, ne sont ni le nerf, ni la clé de l’histoire. Ni l’histoire, ni la science ne peuvent rien accorder au racisme qui est une thèse d’une rare stupidité » (1).
La monarchie n’est pas un système de haine de l’“autre”, c’est, selon la formule de Maurras, un « programme positif ».
Yves Chiron
L'Action Française 2000 - Numéro hors-série - Printemps 1999
(1) Article cité par A.-M. Denis, L’Action française et l’Allemagne. 1933-1938, Éditions I.L.E.S. 1998, p.166.
* Yves Chiron est l’auteur de La vie de Maurras publiée en 1991 aux éditions Perrin, réédité en 1999 aux éditions Godefroy de Bouillon.
Lire aussi :
- Stéphane Giocanti : Charles Maurras félibre. Coll. Les Amis de la Langue d’oc, 1995.
- Victor Nguyen : Aux origines de l’Action française. Ed. Fayard, 1991.
- Éric Vatré : Charles Maurras, un itinéraire spirituel. Nouvelles Éditions latines, 1975.