Les partis contre la nation
« Le gouvernement des partis compartimente, claquemure, parque en étroites catégories sans issues, des hommes destinés pourtant à vivre et à périr ensemble.
La France est déchirée parce que ceux qui la gouvernent ne sont pas des hommes d'Etat mais des hommes de parti. Honnêtes, ils songent seulement au bien d'un parti ; malhonnêtes, à remplir leurs poches. Les uns et les autres sont les ennemis de la France. La France n'est pas un parti. »
Charles Maurras
« Les partis sont la caractéristique essentielle, fondamentale, indispensable de la démocratie ; ils en sont la base, les piliers, la pièce maîtresse, l'élément moteur. Supprimez les partis, il n'y a plus de démocratie. Institution fondamentale de la démocratie, les partis en sont aussi (je dirai en sont, par conséquent) , du point de vue de l'intérêt national, l'institution la plus nocive, la plus illogique, la plus aberrante, la plus inadmissible. C'est pourquoi il vaut la peine de nous y attarder un peu, dans ce procès de la démocratie. […]
Toute société, pour être saine, forte et prospère, doit être une société unie. Il en est ainsi de la famille, il en est ainsi de l'entreprise, il en est ainsi de la nation.
Or, l'existence de partis multiples, avec leurs comités, leurs journaux, leurs tracts, leurs meetings, leurs congrès, leurs défilés, leurs manifestations, entretiennent dans le pays, dans la rue, au bureau, à l'usine, et parfois jusqu'au sein des familles, un état endémique d'agitation, de divisions, d'hostilité, de haine, qui, dans les périodes de campagne électorale se transforme en crises aigues, en poussées de fièvre, en une explosion de passions exacerbées. Les partis sont un ferment de guerre civile.
Quoi qu'il en soit, il est évident que cette division, plus ou moins factice et inutile, des citoyens en de multiples factions plus ou moins étanches et hostiles, division qui se répercute dans l'ensemble des parlements, et même au sein des gouvernements, ne saurait être propice à la bonne conduite des affaires du pays, à la sauvegarde de l'intérêt national. Et c'est si vrai que, dans les moments de crise grave, où l'existence du pays est menacée, en particulier en temps de guerre, les gouvernements de nos démocraties – généralement investis, pour la circonstance, de ce que l'on appelle « les pleins pouvoirs », c'est à dire, en fait, transformés en dictatures ! – proclament la « Patrie en danger », invitent les citoyens à « surmonter des querelles partisanes », et lancent des appels angoissés à « l'union sacrée » !
Mais qu'est-ce donc que ce régime qui n'est capable de gouverner que lorsque tout va bien ? Et qui, dans les moments de crise, c'est-à-dire précisément quand il lui faudrait prouver sa capacité et son efficacité, est obligé de se renier lui-même ?!…
Et s'imagine-t-on que les travaux de la paix sont moins importants, moins importants, moins ardus et moins difficiles que les travaux de la guerre, et que si les travaux de la guerre, et que si les partis, et les divisions qu'ils engendrent, sont néfastes en temps de guerre, ils sont salutaires en temps de paix ?!… […]
Les divisions, les rivalités, les haines, les conflits ne dressent pas seulement les partis les uns contre les autres : ils sévissent également à l'intérieur même des partis. Chaque parti – espèce de microdémocratie – a, pour le moins, son centre, sa droite sa gauche, son extrême droite et son extrême gauche, chacune avec son leader et ses adeptes, parfois aussi enthousiastes, aussi fanatiques et intolérants que s'il s'agissait de partis opposés ! L'exemple le plus typique en est peut-être la « Démocratie Chrétienne »italienne, avec ses innombrables « courants » aux désignations pittoresques. Et quand les divergences, les intérêts, les haines, les ambitions, au sein d'un même parti, deviennent inconciliables, alors le parti se divise et donne naissance, par scissiparité, à autant de nouveaux partis, ce qui multiplie d'autant les calamités inhérentes au régime partisan.[…]
Le gouvernement démocratique étant le gouvernement d'un parti (ou d'une coalition de partis apparentés, ce qui revient au même), gouvernant au nom du programme , des principes, de l'idéologie d'un parti, contre une opposition qui soutient un programme, des principes, une idéologie contraires, il est évident que toutes les fois que le gouvernement devra choisir entre l'intérêt national et la fidélité aux principes, à l'idéologie du parti, l'intérêt national sera sacrifié à l'intérêt du parti. Il ne serait pas difficile d'en citer de nombreux exemples. Je rappellerai seulement les cas de Léon Blum – « Comment le chef du gouvernement de Front Populaire pourrait-il négocier avec Mussolini ?! » - et de Daladier – « Sans doute l'intérêt de la France serait-il de reconnaître le gouvernement de Franco, mais si je le fais, je perds ma majorité ! ». […] »
Jean Haupt, dans Le procès de la démocratie